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La Tribune - Cheater n'est pas jouer

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NDLR : Si vous nous lisez depuis quelques temps, vous connaissez déjà certainement les articles intitulés "Blog de la rédac" qui traitent un sujet avec la volonté d'ouvrir au débat dans les commentaires. Nous lançons aujourd'hui une nouvelle catégorie, "La Tribune". L'occasion de mettre en avant un texte subjectif, écrit par quelqu'un d'extérieur au staff VaKarM. A l'avenir, si vous avez l'envie de nous faire parvenir une réflexion poussée sur un sujet qui vous tient à coeur, n'hésitez pas (keiron@vakarm.net).

Les réactions suite à la dernière annonce d'ESL autorisant les joueurs VAC Ban à réintégrer après deux ans leurs compétitions les plus prestigieuses, dont l'ESL Pro League, ont été nombreuses... mais surtout variées, avec des prises de position qui me semblent bien indulgentes. En effet, je pense que l'intégrité est un facteur capital pour une discipline comme la nôtre, qui revendique une pratique compétitive et non pas un simple spectacle : le résultat d'un match doit être lié uniquement au niveau de jeu des participants.

Les émotions véhiculées par un match de Counter-Strike, l'adrénaline que ressent une équipe, un joueur ou les spectateurs lors d'une action spectaculaire, d'un clutch round tendu, d'une folle remontée ou tout simplement d'une victoire très attendue est à ce prix : on assiste à un affrontement dont l'issue est incertaine ; on ne regarde pas une série dont un scénariste aurait prévu les moindres rebondissements.


Si Happy avait eu un aimbot, cette action nous aurait sans doute laissé indifférent.

Le contrat, le pacte implicite entre ces joueurs et nous, spectateurs, est que ces affrontements soient joués de bonne foi, avec fair-play. Ce qui ne signifie pas forcément de demander aux joueurs de se donner à fond, toujours à 100 % : on sait bien que les tops sont humains et il est logique que parfois les meilleurs aient des passages à vide ou se relâchent, surtout quand ils affrontent des équipes à priori moins bonnes.

Mais le cheat et le match-fixing violent ce pacte et rompent complètement la confiance dans notre discipline favorite. Les spectateurs seraient-ils aussi nombreux devant un match de foot s'ils savaient que le 6-1 du dernier Paris-Barça avait été arrangé à l'avance ? La tristesse, la surprise des supporters du PSG, ou à l'inverse la joie et le bonheur des Catalans auraient-ils été les mêmes si tout avait été écrit à l'avance ?

Ces actions portent un grave préjudice à la raison même d'exister de notre passion et il n'y a pas besoin d'en chercher bien loin les conséquences : la chasse aux sorcières qu'on a vécu il y a deux ans lors du ban de KQLY et les doutes réguliers qui fleurissent sur Internet concernant la légitimité de certains tops ou actions sont délétères pour notre discipline et instaurent un climat de méfiance généralisée.

J'ai du coup énormément de mal à entendre les arguments de personnes considérant que les joueurs bannis pour deux ans auraient déjà "payé leur dette" et auraient "droit à une seconde chance".

Sur la durée de la sanction tout d'abord. Deux ans serait une durée suffisante. Mais suffisante par rapport à quoi ?

Certains comparent ça aux peines réelles, prononcées pour des délits ou crimes, en avançant l'argument qu'aucun sportif n'effectue deux ans de prison pour avoir triché lors d'un match ou d'une course. Sauf que comparer une détention en prison avec un bannissement de compétition de CSGO me parait douteux : la privation de liberté n'est pas du tout la même et, a priori, personne ne choisira jamais d'échanger deux ans de ban sur CSGO contre deux ans (ou même un an ou un mois) de prison !

Bref, un an de prison n'est absolument pas égal à un an de ban CSGO, et ces durées ne sont pas comparables simplement.

D'autres comparent ça aux exclusions prononcées dans le sport. Et il est vrai que dans le sport traditionnel, même dans le cyclisme, la tolérance au dopage (ce qui pourrait se rapprocher le plus du cheat, même si la comparaison a de nombreuses limites) est assez surprenante, les peines les plus sévères n'intervenant souvent que pour récidive.

Mais et alors ? Doit-on forcément s'aligner sur le moins-disant ? Qui ici n'a jamais entendu quelqu'un, à propos du Tour de France, lâcher un petit "de toutes manières, ils sont tous dopés" et décrédibiliser ainsi toutes la discpline... Et notamment les coureurs "propres" ! Souhaitez vous entendre vos proches vous  lâcher un petit "de toutes manières ils cheatent tous" dans cinq ans, la prochaine fois que vous leur parlerez de votre passion ?

J'espère qu'on n'aura jamais à se poser cette questions sur Counter Strike... (crédit : Philippe Tastet)

 

Comme le soulignait lurppis dans un tweet, les problèmes de dopage seraient-ils encore si présents dans le sport si cette question avait été traitée avec la plus grande sévérité dès le début ? Il me semble qu'il ne fait guère de doute que de nombreux sportifs réfléchiraient beaucoup plus avant de se doper s'ils savaient qu'ils risquaient une suspension définitive (ou a minima pour une très longue durée) en cas de contrôle positif.

L'argument de la seconde chance me parait là encore douteux : on dit souvent qu'il doit y avoir une composante pédagogique dans une sanction, qu'elle doit autant sinon plus servir à éduquer qu'à punir. Mais sauf exception des très jeunes (on y reviendra), qui ici peut sérieusement me soutenir que les joueurs en question ne savaient pas ce qu'ils faisaient quand ils ont allumé leur cheat ou arrangé leur partie ?

Respecter les règles du jeu, ne pas tricher fait sans doute partie des principes fondamentaux que l'énorme majorité des individus apprennent lors de leur enfance à travers les jeux, on ne parle pas ici d'une obscure règle de droit incompréhensible.

J'entends bien l'argument de la seconde chance quand les gens commettent une faute par ignorance ou par accident. Mais ici, ces personnes savaient parfaitement ce qu'elles faisaient et ont agi en toute connaissance de cause. Peut-être ne savaient ils pas ce qu’ils risquaient, mais ils savaient parfaitement que ce qu’ils faisaient n’était pas acceptable.

Et ce principe de "seconde chance", cette réintégration dans la société, n'est pas absolue. Par exemple, si vous avec une mention dans votre casier judiciaire (bulletin N°2 pour être précis), la fonction publique vous sera à jamais interdite, même après avoir purgé votre peine. Idem pour les métiers liés à la sécurité en cas de condamnation pour vol. Mais ça ne vous empêche pas pour autant de trouver une activité dans un autre secteur.


Et c'est le dernier point que je voudrais aborder. Dans les commentaires de certains, on a parfois l'impression que cette sanction est une véritable "mort" pour le joueur en question. Je voudrai simplement remettre les choses en perspective : c'est une interdiction de jouer en compétition sur un titre de jeu vidéo :

  • ils ont donc encore le droit de jouer pour le loisir, en matchmaking par exemple, et d'ailleurs certains ne s'en privent absolument pas et streament leurs parties ;
  • s'ils aiment tant le jeu et souhaitent rester dans le domaine ils peuvent se reconvertir dans l'une des activités annexes, comme DaZeD et steel avec le casting ou le coaching (même si l'une des règle de Valve là-dessus pour les Majors limite ce choix, on y reviendra) ;
  • ils ont le droit d'aller participer à des compétitions sur un autre jeu, CSGO n'est pas le seul jeu vidéo joué en compétition, ni même le seul FPS. AZK par exemple est maintenant membre de l'équipe Overwatch pour Team Liquid.


Bref, les alternatives sont nombreuses et, par rapport aux dommages causés à la discipline, je trouve cette exclusion de deux ans légère. N'oubliez pas que dans de nombreux pays, France y compris, le match fixing ou le dopage sont également pénalement répréhensibles et peuvent conduire à des amendes ou de la prison. Or à ma connaissance, aucun des joueurs en question ne fait l'objet de poursuites judiciaires ou n’a été obligé de rembourser ses gains. Comme l'a souligé autimatic, le joueur de Cloud9, avec cette règle et pour un joueur assez jeune, il deviendrait presque profitable de tricher pour s'assurer un gain immédiat :

"Si je commence à tricher maintenant, je peux gagner assez pour payer mes études, être banni, finir ma scolarité, et ensuite revenir dans la compétition"

Alors si deux ans sont trop courts, quelle sanction, quelle durée serait la bonne ? Je ne sais pas et c'est sans doute un point à aborder en concertation avec l'ensemble des acteurs impliqués, notamment les joueurs.

ESL a beau jeu de s'abriter derrière le fait que cette décision n'est pas définitive et qu'elle est prête à discuter avec les intervenants, mais dans ce cas pourquoi ne pas avoir consulté ces intervenants avant ? Il y a un an, Carmac écrivait que les joueurs pros bannis n'étaient pas autorisés à concourrir dans les compétitions professionnelles. Qu'est ce qui a changé depuis ?


En revanche, il y a un combat pour ces joueurs sanctionnés qui vaudrait la peine d'être mené, c'est le respect des droits à la défense et à un jugement équitable. A ce titre, il n'est pas normal que ces joueurs n'aient pas la possibilité de faire appel de la décision de Valve. Il n'est pas correct que Valve ne soit pas obligé de fournir les éléments de preuves ayant conduit au bannissement (et notamment les matchs concernés). Il n'est pas juste que la sanction ne soit pas un minimum personnalisée en fonction du profil des accusés.

Pouvoir faire appel, parce que la plupart des systèmes conduisant à des sanctions offrent une voie de recours, la possibilité de faire réexaminer un litige sans tenir compte du premier jugement rendu.

Présenter les preuves, parce qu'il n'est pas normal qu'une décision aux conséquences si importantes pour les joueurs concernés puisse être prise sans avoir une connaissance précise des circonstances et des faits reprochés aux joueurs en question : a t-il triché une fois lors d'un MM sous le coup de la colère ? Est-ce une action réfléchie depuis plusieurs mois, lors de grandes compétitions ?

Moduler la peine, parce que si dans la plupart des systèmes judiciaire les peines ne sont pas automatiques mais prononcées par des juges ou un jury, c'est bien qu'on reconnait notamment l'existence de circonstances qui vont moduler, à la hausse ou à la baisse, la durée de la sanction. Voir par exemple ce billet de Maitre Eolas expliquant ce point en France. Par exemple, nombreux sont les systèmes admettant des peines plus légères pour les personnes jeunes au moment des faits.

C’est dans l'établissement d'un tel système juste, transparent et égalitaire que se trouve un beau combat à mener pour la communauté (et un éventuel syndicat des joueurs qui se fait décidemment bien attendre), pas dans la réintégration arbitraire de joueurs ayant, par appât du gain, sciemment scié la branche sur laquelle ils étaient assis.

 

Illustration tirée du "Blog de Philippe Tastet", avec l'aimable autorisation de l'auteur.

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