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Comment meurent les grandes équipes

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Aujourd’hui, NAVI est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un tweet de la structure : "Boombl4 écarté. Split demain. Sentiments distingués." Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier.

Dans Counter-Strike, les équipes sont vouées à mourir. Même les meilleurs cinq, ceux qui ont dominé leur époque et atteint des sommets en termes de jeu collectif et individuel, deviennent usés par le temps, le manque de renouvellement, les tensions internes ou les assauts de la concurrence. Cela peut arriver rapidement ou prendre des années. Mais c’est inévitable.

Elles meurent en ne gagnant plus

Arriver au sommet s’avère compliqué, y rester l’est peut-être encore davantage. Et au bout, la descente, forcément. Après avoir remporté 87 maps de suite en lan et disputé cinq finales de Major, pour une victoire, les Ninjas in Pyjamas des débuts de CS:GO (friberg, Fifflaren, Xizt, GeT_RiGhT, f0rest) se rendirent bien compte que leur niveau n’était plus suffisant pour continuer à jouer les premiers rôles. Un automne 2014 pourri, notamment marqué par une élimination dès les poules de l’ESWC suite à une défaite contre les petits Frenchies de Platinium, aura raison de Fifflaren et de la line-up la plus iconique de cette période.


Le premier ESWC sur CS:GO, gagné par NiP en 2012. Il y a dix ans. De rien pour le coup de vieux.

Une petite année plus tôt, NAVI avait emprunté le même chemin. Les monstres de 1.6 (Zeus, starix, Edward, markeloff, ceh9), vainqueurs de quatre Majors consécutifs en 2010-2011 et d’une pléthore d’autres tournois, peinent à s’acclimater à Global Offensive. Les résultats ne sont pas au rendez-vous et après une défaite un peu improbable au Prague Challenge face à un mix franco-russo-polonais (apEX, kennyS, NEO, TaZ, OverDrive), markeloff et Edward quittent le navire, se laissant tenter par un projet de "superteam CIS" chez Astana Dragons.

Plus récemment, FaZe n’a pas résisté à son double échec de début 2018. Des plus alléchantes sur le papier (rain, NiKo, karrigan, olofmeister, GuardiaN), l’équipe réalise une fin d’année 2017 canon avec trois gros succès à l’ELEAGUE Premier, à l’ESL One New York et aux Finales ECS. Et puis ensuite, patatras : dévorée par son envie de gagner, elle s’incline contre des adversaires supposés plus faibles (Cloud9 et fnatic) en finale de l’ELEAGUE Major puis des IEM Katowice, malgré quatre rounds de match lors de la première et un durant la seconde.

Ces deux revers vont complètement casser la dynamique de FaZe, pas non plus aidée par les problèmes personnels d’olofmeister qui enchaîne alors les allers-retours avec le banc. La formation s’en sortira étonnamment très bien avec des lasts, s’imposant aux IEM Sydney avec Xizt puis à l’ESL One Belo Horizonte avec cromen, mais ne rejouera ensuite plus les premiers rôles. Fin 2018, après un FACEIT Major terminé en quarts et des saisons régulières de Pro League et d’ECS ratées, karrigan est évincé. Et il faudra attendre son retour deux ans plus tard, suivi du recrutement de ropz, pour que FaZe retrouve une line-up qui tutoie les sommets...

Enfin, les Liquid du printemps 2019 (EliGE, nitr0, Twistzz, NAF-FLY, Stewie2K) méritent également une mention ici. Entre mai et juillet, la formation met la scène sous son joug, enchaînant six victoires de grande envergure (IEM Sydney, DH Masters Dallas, Finales ESL Pro League S9, ESL One Cologne, BLAST Los Angeles, IEM Chicago) et s’octroyant l’Intel Grand Slam à une vitesse folle. Mais cela ne durera pas : au retour des grandes vacances, Astralis repointe le bout de son nez et rappelle aux Américains qui est la patronne. Liquid plie mais ne rompra que plus tard, en raison de la pandémie de Covid-19, qui l’isole sur ses terres et la fait définitivement couler. Sans performances notables au compteur un an après sa période exceptionnelle, l’équipe dit au revoir à son leader nitr0.


Le printemps 2019, le seul moment où les États-Unis mirent le monde de CS:GO à leurs pieds

 

Elles meurent en gagnant trop

A contrario, certains cinq légendaires ont cessé d’exister parce qu’ils dominaient de manière abusive. Et pour de tels compétiteurs, trop de facilité équivaut à s’ennuyer. Ainsi en fût-il des SK de 2003 (elemeNt, HeatoN, Potti, ahl, SpawN, fisker), qui évoluaient à six et écrasèrent le circuit CPL cette année-là, triomphant à Cannes, Copenhague ainsi que Dallas pour les éditions Summer et Winter. Forcément, après 47 cartes gagnées d’affilée, la lassitude guette et le maître à penser, elemeNt, trouve finalement plus d’intérêt dans ses études que dans CS. "Il ira même jusqu'à dire que les cris de victoire à la CPL Winter étaient « faux » car trop attendus et prévisibles", écrivait-on au moment de revenir sur cette épopée.

Les fnatic de 2015 (JW, flusha, pronax, olofmeister, KRIMZ) ont rencontré une situation à peu près similaire. Après être devenue la première équipe à s’emparer de deux Majors consécutifs – ESL One Katowice et ESL One Cologne 2015 –, la line-up suédoise n’a plus grand-chose à prouver. Et pour pronax, qui devait en plus faire face à des soucis avec son poignet, la motivation n’est plus présente : "Quand j’ai rejoint fnatic, j’avais un but : être la meilleure équipe du monde. On y est arrivé et après, c’est comme si la passion avait disparu. Je me levais tous les jours et on s’entraînait à faire les mêmes choses... Ce n’était plus amusant. Je voulais un nouveau challenge." Le leader qui aura provoqué des cauchemars chez bon nombre de Français partira ainsi à l’automne 2015, pour mieux réapparaître quelques mois plus tard afin de relever ce fameux nouveau challenge du côté de GODSENT.

Côté français, VeryGames version 2009 (krL, shox, SmithZz, RpK, mateOo) a son mot à dire. Le cinq gagne tout, musèle ses rivaux et domine la scène française et internationale. Même lorsque la structure les vire après une affaire de remplacements illégaux lors de matchs en ligne, les cinq concernés s’en vont s’imposer à la MaxLan sous le tag Nameless.


Une victoire sans structure mais pas sans saveur, au contraire

La victime de la finale ? Les nouveaux VeryGames, menés par Ex6TenZ, soit le principal concurrent de krL & Co. Impossible de faire plus grandiose. Pour shox, la suite se passe forcément ailleurs : il change d’équipe et même carrément de jeu puisque le Français ira un temps essayer 1.6 début 2010.

Quand on a gagné la MaxLan, il y a un truc qui s’est perdu dans l’équipe. Au final, ce qu’on voulait, c’était battre VeryGames. Une fois qu’on avait fait ça, derrière, y avait plus rien à faire. On les battait, c’était fini. Je pense qu’il s’est passé ça pour shox. Il s’est dit "CS:S, c’est bon".

krL

On était arrivés à un stade où on ne praccait même plus, limite on ne jouait plus à CS, et on arrivait en lan et on gagnait quand même. Ça n’avait aucune saveur la victoire. Je voulais retrouver ce goût de l’effort. Même si c’était pour batailler pour être top 8 dans une lan, au moins il y a un vrai challenge de vouloir toujours viser plus haut.

shox

 

Elles meurent en implosant de l’intérieur

De mon expérience, il y a une désynchronisation totale entre ce qui est aperçu de l’extérieur et ce qu’il se passe dans les équipes. Les gens ne se rendent pas compte, mais vivre avec d’autres, dans une équipe, surtout sur du long terme... Les gens n’ont absolument aucune idée. Je ne suis pas en train de dire que les gens se trucident dès que les caméras sont off ! Mais c’est de l’humain. Tout ce qu’il y a de plus noble comme tout ce qu’il y a de plus vil arrive dans les équipes. Il n’y a que celles qui gagnent absolument tout qui ont un peu moins à gérer ce souci, mais elles ont aussi à le faire.

Happy

Les relations humaines, c’est le plus fabuleux réservoir à embrouilles du monde, même chez les équipes brillantes. Et ce n’est pas nouveau : la première composition Ninjas in Pyjamas à avoir dominé son temps (HeatoN, Potti, Medion, Hyb, XeqtR), mettant la main sur les CPL London et Berlin en 2001, prit fin lorsque XeqtR fut exclu, celui-ci étant trop peu connecté sur IRC au goût de ses coéquipiers pour entretenir une communication interne optimale.

En la matière, les Français sont des experts. VeryGames 2011 (Ex6TenZ, NBK, RpK, shox, SmithZz), sans doute la meilleure line-up de l’histoire de CS:S ? shox renvoyé pour un "manque de professionnalisme" cachant un anecdotique conflit de sponsors pour une souris, et SmithZz qui suit son meilleur ami. VeryGames 2013/Titan 2014 (Ex6TenZ, NBK, shox, SmithZz, ScreaM), à la lutte avec NiP pour le trône mondial ? shox de nouveau mis dehors, la tentative de gaming house mise en place par la structure ayant simplement donné naissance à des tensions entre le rifler star et le reste du cinq.

LDLC/EnVyUs 2014-2015 (shox, SmithZz, NBK, kioShiMa, Happy), première formation française à remporter un Major sur CS:GO ? À nouveau le duo shox-SmithZz dans la charrette suite à de gros désaccords internes, notamment sur le lead, et un cinq qui se TK au spawn en demi-finale de l’ESWC. Quelques mois plus tard, alors que kennyS et apEX ont remplacé shox et SmithZz, ce sera au tour de kioShiMa de faire l’unanimité contre lui et d’aller cirer le banc d’EnVy, tandis que l’ambiance interne se dégrade un peu plus chaque jour.


On remarquera tout de même une certaine constance de shox à se faire kick de ses équipes à cette époque-là

Même emuLate (HaRts, ioReK, MaT, mSx, R!go), la meilleure équipe hexagonale de l’histoire du premier Counter-Strike, la seule à avoir triomphé en Major lors des WCG 2007, n’a pas échappé à ce triste sort après deux années de jeu. "La rupture, c'est les WCG France qui suivent [en 2008]. Tout le monde a lâché, on n'a plus cette sensation de pouvoir dominer collectivement. Il y a trop de dissensions et trop de soucis dans la structure. Le style de HaRts arrive peut-être à bout de souffle aussi... On arrive sans entraînement, on pense s'en sortir une fois de plus... c'est l'équipe de France de football 2002. On perd Zidane ! On perd mSx, il n'est pas dedans, personne n'est dedans", racontait MaT, qui refusera ensuite de revenir jouer avec ses anciens coéquipiers en 2010, ne souhaitant pas revivre les scènes de dispute entre HaRts et mSx qui avaient sonné le glas de l’aventure.

La France n’a toutefois pas le monopole de la discorde. La Pologne cache aussi de sombres histoires. Son légendaire Golden Five (NEO, TaZ, kuben, Loord, Luq de 2006 à 2009, puis avec pasha à la place de Luq en 2010-2011), titré cinq fois en Major, se séparera en 2013 dans des conditions bien tristes, Loord et TaZ réglant leurs comptes par communiqués interposés. "Passer cinq jours par semaine sur TeamSpeak et jouer des tournois ensemble pendant sept ans est fatigant, croyez-moi", soufflera kuben au moment de la dissolution.

Impossible de ne pas faire le parallèle avec Virtus.pro (TaZ, NEO, pasha, Snax, byali), inamovible durant quatre ans entre fin 2013 et début 2018, et qui finira par se déliter sur fond de conflit automobile générationnel entre les vétérans TaZ et NEO d’un côté et les jeunots Snax et byali de l’autre. Les seconds finiront par avoir la tête des premiers, mais Virtus.pro ne parviendra ensuite plus jamais à retrouver les sommets atteints avec cette formation.


S'ils connaissaient la fin qui les attend...

Pour tenter d’être exhaustif, citons également fnatic : en 2009 d’abord (cArn, dsn, f0rest, GeT_RiGhT, Gux), lorsque l’équipe met fin à son année de haute volée en écartant Gux, jugé trop à l’écart des autres ; en 2016 ensuite (JW, flusha, olofmeister, KRIMZ, dennis), quand deux clans se forment, ce qui aboutira à un shuffle suédois des plus inattendus avec olofmeister et dennis toujours en poste dans l’organisation tandis que JW, flusha et KRIMZ se carapateront du côté de GODSENT. La même année, Luminosity/SK (FalleN, fer, coldzera, fnx, TACO), vainqueur des deux Majors calendaires, écartera fnx en fin de saison pour cause de problèmes comportementaux.

 

Elles meurent en étant au bout du rouleau

S’affirmer comme la meilleure équipe de tous les temps est éreintant. En 2018-2019, Astralis (dupreeh, device, Xyp9x, gla1ve, Magisk) a établi une domination sans précédent sur la scène, raflant trois Majors consécutifs sans perdre une seule carte en play-offs et remplissant son armoire à trophées de (très) nombreuses coupes. Un succès total qui a fini par mettre les cinq prodiges danois sur les rotules. Au printemps 2020, leur maison-mère s’empare du problème en se lançant dans une grande entreprise : le recrutement de remplaçants et la mise en place d’une line-up tournante. gla1ve et Xyp9x vont se reposer tandis que se succèdent es3tag, Bubzkji et JUGi pour les suppléer.

Le cinq magique se transforme donc en six et même en sept, sans pour autant que les nouveaux venus ne convainquent réellement. Ce fonctionnement dure un temps mais le flou entourant la composition de départ enlève la magie des Astralis de la grande époque. Le clap de fin définitif de cette équipe unique aura finalement lieu en avril 2021, quand device quittera son cocon pour rejoindre NiP lors d’un transfert que personne n’avait anticipé.


Si même eux ont fini par mourir, qu'espérer de Counter-Strike ?

 

Elles meurent en prenant part à une compétition démesurée

Le cas des fnatic de Source (proph, xertion, darky, AirRaid, Blaze) est particulièrement atypique. Les Néerlandais s’imposent comme les mastodontes de la scène Source en 2007, à une époque où la Francophonie n’a pas encore le contrôle complet. Ils gagnent notamment The eXperience, le Slap Live #13 et ne se font battre qu’en finale de la diGitalsace par des WebOne (SmithZz, rFlex, mateOo, JoJo, Day) héroïques à domicile. En novembre, ils deviennent même les premiers joueurs professionnels officiels de la scène.

Le périple aurait pu se poursuivre si les CGS n’avaient pas tout chamboulé. Ce tournoi hors-normes, au cashprize démentiel de 455 000 $, fonctionne selon un système singulier de franchises et de line-up créées quasiment pour l’occasion lors d’une draft de pré-saison. À l’aube de la seconde édition, fnatic prend part à cette draft et, logiquement, vole en éclats : xertion et Blaze sont récupérés par Berlin Allianz, darky et proph servent de roues de secours dans le même effectif, et AirRaid se retrouve chez Stockholm Magnetik.

La version hollandaise de fnatic s’éparpille ainsi façon puzzle et la structure annoncera officiellement la fin de la formation une poignée de semaines plus tard, malgré la frustration des fans. "La légendaire équipe de fnatic est déchirée, ce qui vaudra un bon nombre de critiques envers les CGS et son système de draft", rappelions-nous d'ailleurs au moment d’effectuer la rétrospective de ces CGS. 

La line-up se reformera tout de même durant quelques mois en 2009 sous les couleurs de LowLandLions, sans jamais retrouver les sommets connus avec fnatic.

 
fnatic 2007, le seul moment où une équipe néerlandaise domina une scène CS

 

Elles meurent en étant à la merci des événements historiques

Depuis 2013, NAVI fonctionne avec une équipe russo-ukrainienne. Cela lui a permis de s’installer de plus en plus haut dans la hiérarchie mondiale de CS:GO, jusqu’à en prendre les commandes en 2021. Son équipe d’alors (s1mple, electroNic, Boombl4, Perfecto, b1t), dotée d’une puissance de feu colossale, devient la première à gagner un Major sans perdre une seule map, au PGL Major Stockholm, et boucle la saison des lans – certes raccourcie de moitié suite à la pandémie de Covid-19 – avec une unique petite défaite pour vingt matchs remportés.

Mais alors que tout le monde se demandait si l’ère NAVI était partie pour durer, Vladimir Poutine en décidait autrement. Le 24 février 2022, le dirigeant russe envahit l’Ukraine. Une guerre se déclenche entre les deux pays. Peu de temps après, NAVI, d’origine ukrainienne, rompt ses liens avec tous ses partenaires russes et demande à ses joueurs de la même nationalité de faire un choix : pour rester dans la structure, ils doivent quitter la Russie et emménager ailleurs. Perfecto et electroNic acceptent, mais des "problèmes réputationnels" apparaissent autour de Boombl4, dont la femme a exprimé son soutien à la Russie sur les réseaux sociaux.


Jusqu'où ces cinq-là, et coach B1ad3 avec la coupe, auraient-ils pu aller ?

NAVI se sépare donc de son leader in-game, disant adieu par la même occasion au cinq le plus performant de son histoire sur Global Offensive. Quand la guerre dépasse le serveur, ce n’est jamais une bonne nouvelle.

Merci à Elnum pour la bannière

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