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2023, année charnière pour CS:GO ?

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Après une année 2022 qui a marqué un certain retour à la normalité, 2023 s’annonce comme un moment charnière dans l’histoire de notre jeu favori. Les nuages pointent dans le ciel de l’esport et, en tant que jeu majeur, CS:GO n’échappe pas aux inquiétudes, en plus d’en avoir quelques-unes qui lui sont propres. Petit tour d’horizon des risques encourus par le meilleur FPS compétitif de l’histoire. 

Une correction à venir ?

C’est le sujet de ce début d’année. XTQZZZ en a parlé lors d’un de ses streams, Richard Lewis le répète à l’envi depuis un mois : l’économie de l’esport est en danger, et les facteurs sont multiples. Première coupable, la récession mondiale qui pointe le bout de son nez pour des raisons diverses. Hausse des taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, tensions sur les chaînes d’approvisionnement liées à la guerre en Ukraine et aux confinements en Chine, les six derniers mois ont été un parfait cocktail pour un ralentissement économique global.

Évidemment, lorsque l’activité économique freine, les entreprises réduisent la voilure et, bien souvent, le marketing est une des premières victimes. Pas de chance pour l’esport, qui vit largement du sponsoring issu du marketing desdites entreprises. C’est ce qu’évoquait notamment XTQZZZ : cette baisse des budgets des équipes qui va invariablement se répercuter sur les employés et les joueurs.

Avec le recul, cette compression peut d’ores et déjà être vue comme une correction plus qu’autre chose. Depuis 2015, l’inflation des salaires de joueurs était sans commune mesure avec leur valeur réelle en tant qu’actif et leur capacité à rapporter de l’argent aux clubs dans lesquels ils évoluaient. On se souvient particulièrement du rôle inique des structures américaines dans cette croissance vertigineuse, qui força le reste de la scène à s’aligner rapidement. Ce ralentissement pourrait même avoir, sur le long terme, un effet positif sur une partie de l’économie des clubs sur CS:GO.

On les a aimés nos Boys in Blue mais il faut être honnête : ils ont foutu un sacré bordel
dans les échelles salariales sur CS:GO.

Jusqu’alors maintenu artificiellement en vie par des levées de fonds auprès d’investisseurs qui se font vendre des métriques marketing délirantes, l’assèchement partiel des ressources pourrait forcer certaines équipes à revoir leur modèle de financement pour s’orienter vers quelque chose de plus organique, plus sain et plus durable. Les difficultés récentes d’équipes comme HEET, pour prendre un exemple proche de nous, démontrent partiellement les problèmes de viabilité des modèles actuels qui reposent sur des rondes de financement.

 

Des équipes rattrapées par une gestion discutable

Parce que oui, il faut le dire, pour chaque équipe gérée intelligemment sur CS, combien sont gérées n’importe comment ? Pour chaque modèle qui se tient, combien de sponsors louches, de décisions étranges et de ratés impardonnables ? À l’heure de la crise, il va être temps de payer cash certains investissements.

Sur d’autres jeux, on a déjà vu les premières conséquences de ces choix désastreux. Ainsi en est-il de la ligne nord-américaine de League of Legends, les LCS, qui avait fait de FTX son sponsor principal pour sept ans quelques mois avant l’effondrement de la plateforme d’échange de crypto-monnaies, ou encore de TSM, qui avait aussi placé sa confiance dans cette même boîte en carton pour un contrat de naming pour 10 ans.

Sam Bankman-Fried, fondateur de FTX, avec un joli maillot TSM sur les épaules.
Un énième escroc dans le monde merveilleux de la crypto
(Source : Reuters)

Ces choix ont des conséquences réelles sur les équipes et la scène compétitive. Ainsi, on pourrait questionner la viabilité de l’équipe CS actuelle de FaZe Clan, alors que son club est dans une situation économique catastrophique. Introduite en bourse à l'été 2022, l’action FaZe a perdu 91 % de sa valeur depuis et le journal Forbes lui donne quelques mois de vie à son train actuel. De fait, il se pourrait que la meilleure équipe de 2022 n’existe plus fin 2023, faute de cash.

De même, l'action Astralis a perdu 76 % sur le marché danois depuis son introduction fin 2019, et 82 % aux États-Unis. Là encore, on peut questionner le bien-fondé de ces entrées en bourses destinées à lever du cash rapidement grâce à des valorisations exagérées lors des introductions. C'est une chose de dire "mon club vaut 1 milliard !!" à des directeurs marketing de 55 ans qui veulent vendre leur produit à la Génération Z ; c'en est une autre d'avoir ses comptes exposés au vu de tous et de devoir justifier un modèle rentable jour après jour auprès des marchés financiers pour assurer la valeur d'une action.

Chute ! Chute à l'avant du peloton !

Plus globalement, nombreuses sont les équipes qui se reposent sur des sites louches d’ouverture de caisses et de crypto extrêmement volatiles. Certains sont même allés jusqu’à miser sur les NFT pour tenter de pérenniser leur modèle financier. Un choix osé, quand on voit l’état du marché des NFT, même pas un an après l’apparition de la hype. On pourrait aussi évoquer les plateformes de paris plus ou moins légales, comme 1xBet, annoncée en 2021 comme sponsor d'équipes comme MIBR ou de l'ESL Pro Tour au complet, et depuis suspendue dans de nombreux pays et au centre de multiples enquêtes de fraude et corruption.

Là encore, les corrections importantes sur ces marchés volatils, causés autant par la chute d’acteurs majeurs dont la valorisation était largement surestimée que par les difficultés de l’économie réelle, pourraient avoir des conséquences drastiques pour bien des acteurs : clubs sous perfusion d’argent magique, streamers en partenariat avec tout et n’importe quoi, organisateurs de tournoi (notamment en ligne) aux fondations économiques discutables, c’est tout un écosystème qui risque d’être secoué en 2023.

 

Des événements qui stagnent

Alors on pourrait dire "ok, mais notre circuit compétitif est détenu à 80 % par l’Arabie Saoudite. S’il y a bien un acteur qui ne va pas finir sur la paille après-demain, c’est l’Arabie Saoudite !". Effectivement, ESL et FACEIT ont vendu leur âme pour assurer la pérennité économique de leurs modèles et, a priori, leurs circuits ne devraient pas être trop impactés par les incertitudes économiques.

Cependant, 2023 sera quand même une année importante pour ces acteurs. En effet, à l’annonce de la vente, les chiffres vertigineux laissaient songeurs quant aux moyens financiers désormais à la disposition de ce mastodonte du circuit CS:GO. On se disait que, certes, la grande majorité de notre scène compétitive était passée entre les mains d’un dictateur tortionnaire, mais au moins nos joueurs préférés allaient cliquer sur leur souris dans des événements incroyables.

Peut-être qu'Emmanuel Macron lui a offert un hoodie Vitality pour fêter la victoire de l'équipe lors de l'ESL Pro League. Quelle chance d'avoir des leaders politiques jeunes qui s'intéressent à l'esport <3 !

Or, pour l’instant, ce n’est pas le cas. Pire, à l’exception de BLAST, 2022 aura peut-être été une des années avec les événements les moins bien foutus depuis un bail. Annoncés comme le plus grand Major de l’histoire, les IEM Rio ont vu se multiplier les décisions discutables de la part d'ESL, se soumettant aux désidératas de Gaules au détriment de l’expérience spectateur. Résultat, une salle vide sur plus de la moitié des play-offs et un casting en brésilien désastreux lors de la finale. On se souvient aussi de la pathétique cérémonie de remise du prix du joueur de la décennie à s1mple, entre la faute dans son pseudo et l’arène vide.

Le reste du calendrier fut à l’avenant. Si Cologne et Katowice ont bénéficié de leurs ambiances légendaires, la production proposée par ESL était à peine plus intéressante que celle de leurs événements en ligne. Toujours le même contenu, les mêmes capsules inintéressantes, les mêmes desks et les mêmes scènes. Prenez une VOD au hasard d’un des événements premium (Major, Katowice, Cologne), enlevez le public et concentrez-vous sur ce qu’ESL vous propose : impossible de différencier ça d’une phase de poules anonyme de la Pro League ou d’un IEM sans intérêt à l’autre bout du monde.

14h d'affilée avec le même desk pour le stream B du play-in de Katowice. 1 milliard au fait.

Pis encore, le play-in de Katowice a multiplié les problèmes techniques, rappelant les meilleurs souvenirs de 2014, quand les trois premiers jours d'un événement ESL étaient toujours grevés de milles soucis. Même les cyniques qui nous expliquaient que le rachat saoudien était une bonne chose pour la pérennité de notre scène doivent aujourd’hui se poser la question : tout ça pour ça ?

Un mappool peu excitant

Des clubs en crise, des tournois en berne, heureusement qu’il nous reste l’essence : le jeu, le serveur. Counter-Strike reste Counter-Strike, l’esport le plus excitant qui existe et qui nourrit notre passion commune depuis plus de 20 ans, n’est-ce pas ? N’est-ce pas ? Cette partie est probablement plus subjective, mais la discussion mérite tout de même d’être ouverte.

On pourrait en effet arguer de bonne foi que le mappool actuel est certainement le plus nul de l’histoire de CS:GO, à l’exception peut-être des toutes premières années, lorsque Nuke et Train n’avaient pas été retravaillées et qu’une Overpass initialement horrible était venue s’ajouter.

Le site A dans les premières versions d'Overpass.

Mais à part ça, visez plutôt les sept cartes actuelles. Au sommet de la hiérarchie, il y a les indiscutables. Inferno ne se démode pas et continue de nous offrir des matchs de légende. À ses côtés, Nuke a enfin trouvé son équilibre et est aujourd’hui une map particulièrement intéressante, pleine de nuances et de possibilités. Derrière, on pourrait glisser Overpass, particulièrement complexe à apprivoiser, même si la meta n’évolue plus tant que ça. Quid de Mirage alors ? Carte historique, elle continue d’offrir des matchs d’anthologie mais tend elle aussi à stagner stratégiquement.

C’est derrière que ça se complique. Récemment arrivée, Anubis montre de belles promesses et de nombreuses équipes l’ont déjà adoptée. Alors certes, ce n’est pas une carte révolutionnaire, mais elle fait le travail, et c’est tout ce qu’on lui demande. Dans un monde idéal, elle serait la pire carte du mappool. Sauf qu’Ancient et Vertigo existent. 

Ancient n’est pas fondamentalement une mauvaise carte. C’est juste une carte anonyme. En mai, ça fera deux ans qu’elle est dans le mappool. Vous vous souvenez d’une action de légende sur Ancient ? D’un match d’anthologie ? De manière générale, la carte est encore imparfaite, Valve continue d’ailleurs de travailler dessus pour essayer de trouver le bon équilibre. En attendant, elle pourrait disparaître demain et la réaction générale serait probablement "oh ? ok". 

Qu'est-ce qu'on s'amuse !

On ne peut pas en dire de même pour Vertigo. Quatre ans (!!!) après sa sortie, la carte est toujours un enfer à regarder, avec des rounds qui se résument généralement à une bataille de smoke géante dans la rampe A, avant que les terroristes décident d’une redirection ou non. Et s’ils plantent en A, c’est parti pour une autre orgie de spams dans les smokes pendant que les CT essayent de désamorcer dans la fumée. Génial.

Quand on pense que des cartes comme Dust2, Cache, Train, Cobblestone voire même Tuscan sont sur la touche, on est en droit de se demander si, effectivement, CS n’aborde pas 2023 avec un mappool historiquement faible et compétitivement chiant. 

Un top instable et peu structuré

Un désintérêt qui pourrait se voir renforcer par l’état instable du Tier 1 et la faiblesse relative des équipes actuellement au sommet de la scène. Les grands matchs, les grandes compétitions, les grandes périodes de l’histoire du jeu reposent généralement sur la domination incontestable d’une, deux voire trois équipes. Les matchs qui les opposent définissent ce qu’est le très haut niveau à un instant T et, pour toutes les équipes en dessous, elles sont des cibles à abattre, créant des narratifs passionnants. 

Ce top 10 est indiscutablement étrange à regarder. Aucune équipe ne s'en dégage vraiment.

Lorsqu’on regarde le top HLTV actuel, aucune équipe ne se détache, rendant difficiles les belles histoires et moins récurrents les matchs de très haut niveau. À la veille du play-in de Katowice, Heroic est top 1 monde. Avec tout le respect qu’on a pour le travail de cadiaN, il y a peu de chance qu’on soit au début d’une ère Heroic. Derrière, on retrouve des G2 encourageants mais sur lesquels on ne peut pas encore s’emballer complètement, tant ils ont souvent déçu. 

Vient ensuite FaZe, qui a clairement ralenti fin 2022 et Outsiders, dont on peine à se souvenir qu’ils sont les champions en titre du Major tant ils ont terminé l’année dans l’anonymat. Si on remonte jusqu’au top 10, c’est presque pire : NAVI n’est que l’ombre d’elle-même, Vitality n’a encore rien prouvé, MOUZ et FURIA surfent sur un Major réussi et pas grand-chose d’autre, alors que la présence de fnatic en ces lieux est carrément incongrue. 

Certes, cet aspect "tout le monde peut battre tout le monde" a ses attraits de par l'imprévisibilité qu’il crée. C’est vrai, alors que Katowice pointe le bout de son nez, on serait bien en peine de pronostiquer les deux finalistes. Mais d'un autre côté, cette absence de hiérarchie claire nuit à la création d’histoires autour des matchs, de dynamiques entre favoris et prétendants, de surprises et autres confirmations d’ères. 

C’est tout un pan du storytelling qui est amputé du jeu et, dans ces cas, l’audience finit par en souffrir. En effet, tout le monde aime voir des surprises ; mais bizarrement, derrière, personne ne regarde les matchs entre les surprises. Parce que, au fond, on préfère tous voir un FaZe vs NAVI au sommet de leurs arts respectifs qu’un Gambit vs Immortals en finale de Major. 

Des formats compétitifs ennuyeux

Enfin, comment parler de l'intérêt que l'on porte au T1 sans évoquer les nouveaux modèles franchisés qui dominent désormais la scène ? Pour des raisons économiques, tant ESL que BLAST ont passé des accords avec les clubs qui assurent la présence de ces derniers à leurs événements, peu importe leur niveau de performance. Ainsi, une équipe abyssale depuis plus d'un an, Evil Geniuses, continue de jouer la Pro League chaque saison.

Cependant, ce modèle, pour fonctionner, doit garantir un revenu stable aux clubs signataires. Revenu là encore directement lié au sponsoring, et notamment à la durée de visionnage. Plus votre équipe est longtemps en live sur le stream, plus vous pouvez valoriser votre marque auprès de potentiels partenaires ou investisseurs. C'est pour garantir ceci que les tournois adoptent des formats ubuesques, avec des phases de poules qui durent des semaines pour jouer un maximum de matchs, pour la plupart sans intérêt.

Même BLAST traduit son format en termes d'heures jouées,
c'est bien la seule logique derrière ces formats biscornus. (Source : BLAST.tv)

De fait, hormis les rencontres de votre formation favorite, qui se soucie vraiment des phases de poules BLAST, alors que chaque équipe a 10 dernières chances de ne pas tomber au Showdown, que la structure des poules n'est pas toujours claire, et que ces poules qualifient pour un tournoi qui aura lieu dans plusieurs mois ? Idem avec la Pro League : comment s'enjailler face à une ligue aussi longue où des équipes perdues continuent d'avoir le droit de jouer à la place de line-up plus méritantes ?

Là encore, on peut se demander si l'impact sur l'audience de ces formats, comme en témoignent les résultats des récentes poules BLAST, ne vont pas remettre en question cet aspect de l'économie du jeu. C'est bien beau de vendre des centaines de "watched hours" aux sponsors, mais si personne ne regarde, dans un contexte de réduction des dépenses, le modèle n'est peut-être pas aussi pérenne que prévu.

 

Counter-Strike, comme le reste de l’esport, est certainement à un tournant en 2023. Les circonstances externes vont avoir un impact massif sur la structuration de la scène et on serait bien en peine de faire un pronostic sur le paysage au sortir de la crise. En parallèle, des facteurs endogènes semblent indiquer une période de transition autour et sur le jeu qu’il faudra réussir, sous peine de revenir plusieurs années en arrière dans ce qui est offert aux spectateurs, aux équipes et aux joueurs. 

En bref, on rentre dans un tunnel. On sait à quoi ressemble la scène en entrant, mais il est dur de prévoir de quoi tout cela aura l'air en sortant. Soit on ralentit un peu mais on garde les bases un peu malsaines et un peu moisies sur lesquelles reposent notre écosystème actuellement, soit on en profite pour écrémer, nettoyer et purifier tout ça, histoire de construire quelque chose qui puisse être fun et viable à long terme.

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