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Les enfants asiatiques de Counter-Strike
C'est un constat qui fait aujourd'hui presque office de vérité : l'Asie ne perce pas sur CS:GO. Il y a bien des TYLOO ou des ViCi aux Majors de temps en temps, quelques performances intéressantes de-ci de-là, mais rien de durable, aucun titre de prestige, pas une once de menace pour les autres régions du globe. Les dernières performances remarquables ont eu lieu il y a plus de dix ans, sur 1.6, quand les Coréens d'e-STRO avaient fait trembler le monde durant quelques mois, empochant une médaille d'argent à l'ESWC 2008 et une de bronze aux WCG 2008.
Régulièrement, une raison revient pour expliquer cette quasi-anomalie : la culture asiatique se révèle plus favorable aux MOBA ou RTS qu'aux FPS. Pourtant, des FPS, l'Asie en connaît un paquet, et ça ne date pas d'hier. Certains sont même devenus immensément populaires là-bas, tout en restant inconnus partout ailleurs. Le meilleur dans tout ça ? Plusieurs de ces titres s'avèrent être des copiés-collés plus ou moins assumés de Counter-Strike.
Peut-être que Counter-Strike, tel que nous le connaissons ici, n'a que peu d'aura en Extrême-Orient. Mais son concept vit bel et bien, lui.
Counter-Strike Online, le spin-off officiel
Alors que la fin des années 2000 approche, pour renforcer la présence de son jeu sur le marché asiatique, Valve décide de se trouver un partenaire local. Ce sera Nexon, un éditeur sud-coréen de jeux vidéo, qui aura pour mission le développement d'un Counter-Strike dédié à cette région. En juin 2008, le titre sort et a pour nom Counter-Strike Online (CSO).
Inspiré de Condition Zero au niveau graphique, il n'est pas juste une simple refonte bête et méchante. Enfin, dans le concept de base, si. Mais derrière, CSO ajoute de nouveaux modes de jeu, des personnages féminins, ainsi que des armes et des camouflages à débloquer en utilisant des points acquis dans le jeu ou de l'argent réel (finalement, rien n'était nouveau en 2013). Le sigle "MMOFPS" peut alors se lire un peu partout pour désigner ce jeu à mi-chemin entre un MMO et un FPS. Un système de microtransactions est également introduit pour que les joueurs puissent se procurer tout ce qu'ils veulent et tenter de devenir plus forts.
Le succès ne va pas être massif, mais CSO se répandra assez pour que Valve et Nexon remettent ça quatre ans plus tard avec Counter-Strike Online 2, suivant cette fois-ci les pas de Counter-Strike: Source et de son moteur physique. En 2014, un autre dérivé fera son apparition, Counter-Strike Nexon: Zombies, ensuite renommé Counter-Strike Nexon: Studio, plongeant les joueurs dans une apocalypse de morts-vivants, comme bon nombre de serveurs non officiels en proposaient à l'époque, forgeant ainsi la réputation du mod Zombie. Tout un programme. Pour la première fois, Valve décide de présenter une de ses collaborations avec Nexon au monde entier et Counter-Strike Nexon: Studio se retrouve disponible sur Steam. Il l'est encore aujourd'hui.
Trois jeux réalisés spécifiquement pour le marché asiatique, c'est bien, mais ça ne suffit pas à réellement faire décoller la cote de CS. Les serveurs de Counter-Strike Online 2 ferment en 2018. Entre 2013 et 2016, les Championnats du monde de Counter-Strike Online auront lieu chaque année, sans que le cashprize ne dépasse les 40 000 $ et, surtout, sans que le reste du monde ne s'intéresse à l'événement.
Counter-Strike Neo, l'appel du Japon En réalité, il n'y eut pas trois mais quatre jeux consacrés à l'Asie. En 2003, Valve tâte déjà ce marché en allant du côté du Japon. Un opus est spécialement développé pour l'occasion, en collaboration avec le studio Namco, Counter-Strike Neo. Cette version, à mi-chemin entre Counter-Strike 1.5 et 1.6, est retravaillée pour présenter une dimension plus arcade, afin de faciliter la prise en main dans les salles de jeux et cybercafés. Le jeu est surtout intéressant pour son approche spécifique dédiée au Japon. Afin de conquérir l'audience locale, les personnages adoptent un aspect "anime" qui rappelle l'audiovisuel japonais. Deux factions font leur apparition : les NEO, qui remplacent les CT, et les CSF, équivalent des terroristes. Mais ce qui est véritablement fascinant, c'est que Namco a déployé tout un univers, sous l'appellation "White Memories", pour attirer le public vers ce nouveau titre. Counter-Strike est un peu atypique car c'est un jeu sans histoire, sans scénario, sans personnage fixe. Counter-Strike Neo a tenté de pallier ce manque en insufflant un "background" et des héros, afin de générer un intérêt et un attachement de la part des joueurs. Des sortes de nouvelles interactives ont même été créées pour l'occasion. Certains de ces contenus sont encore disponibles aujourd'hui sur le site archivé du jeu. Tout est en japonais, évidemment.
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Cet échec relatif, Nexon l'avait peut-être vu venir. En 2010, le groupe zyeute déjà en dehors de Counter-Strike Online et décide de racheter un autre studio de son pays, GameHi. Ce dernier s'était notamment fait connaître au cours des années précédentes pour Sudden Attack, un FPS ressemblant de très près à Counter-Strike. Et qui avait cartonné en Corée du Sud.
Sudden Attack, le FPS coréen
Sudden Attack reprend les bases de Counter-Strike : une équipe qui attaque, une qui défend, une bombe à poser, des grenades, et les rounds défilent. Il n'y a cependant pas de notion économique, les joueurs sont donc parfaitement armés à tous les rounds.
Suite à sa sortie en free-to-play en 2005, Sudden Attack a été un succès colossal. Il est resté au sommet du classement des jeux les plus joués de Corée du Sud durant plusieurs années avant d'être détrôné par League of Legends. Qui a dit que les Asiatiques ne jouaient pas aux FPS ? Le titre a réussi à timidement s'exporter dans les pays voisins, mais n'a en revanche jamais rencontré le succès escompté ailleurs sur la planète. Après cinq ans de résultats décevants, les serveurs nord-américains ont été clôturés en 2014.
Nexon a tenté de relancer la machine en 2016 avec la sortie, toujours en F2P, de Sudden Attack 2, le successeur direct du premier, qui proposait un gameplay similaire avec des graphismes améliorés, parce que ceux de 2005, ça va bien un temps, mais bon. Problème, ce nouvel opus est resté sur le marché pendant seulement... trois mois. Avant d'en être retiré. "L'équipe de développement est profondément troublée par les retours des joueurs", expliquait Nexon. Des joueurs qui s'amusaient notamment à faire prendre des poses suggestives aux personnages féminins du jeu, ce qui avait amené l'éditeur à s'excuser et à les enlever.
Un casting féminisé pour Sudden Attack 2
Le 2 étant un échec cuisant, la communauté est donc repassée sur Sudden Attack première version. Le titre n'est désormais accessible qu'en Corée du Sud étant donné que les derniers serveurs ouverts se trouvent là-bas, les infrastructures japonaises ayant été fermées courant 2019. En mars dernier, Nexon s'est toutefois montrée ouvert à la proposition d'un fan américain de mettre Sudden Attack sur Steam et de le rendre à nouveau disponible pour tous, si assez de personnes faisaient part de leur intérêt pour le jeu. Comme quoi, même un obscur FPS coréen peut séduire des joueurs partout sur le globe.
Côté esport, Sudden Attack a eu droit à sa "Korean Super League" autour de 2010. Quelques tournois ont aussi eu lieu sur le 2 avant qu'il ne disparaisse. Rien de bien folichon donc, mais des productions sud-coréennes qui n'ont tout de même pas à rougir de la qualité proposée.
Tout ça c'est sympa, mais Sudden Attack n'est pas le clone de Counter-Strike à avoir le mieux fonctionné. Loin de là. Préparez-vous à entrer dans une autre dimension, celle d'un jeu ignoré ici mais véritable mastodonte en Asie, qui fait de lui le FPS le plus populaire du monde.
Bienvenue sur CrossFire.
CrossFire, le FPS le plus joué du monde
Développé et édité par Smilegate, un studio coréen, CrossFire est incroyablement renommé en Asie et notamment en Chine, où il est soutenu par Tencent (l'une des plus puissantes multinationales chinoises, entre autres actionnaire de Riot Games, l'éditeur de League of Legends, et Epic Games, l'éditeur de Fortnite) depuis 2008.
Free-to-play, CrossFire ne serait pas uniquement le FPS le plus populaire du monde, mais également le jeu vidéo le plus populaire du monde, tout simplement. Plus d'un milliard (!) de joueurs répartis dans 80 pays auraient créé un compte et des pics réguliers à 6 ou 7 millions de joueurs simultanés sont enregistrés. Pour rappel, CS:GO a tout juste franchi le million pour la première fois en mars dernier. En termes de revenus, CrossFire se met plutôt bien en étant dans le Top 10 des jeux ayant rapporté le plus d'argent depuis que l'industrie est née, derrière des sagas à l'aura internationale comme Mario, Pokémon, Street Fighter et Call of Duty.
Bref, CrossFire, ça ne rigole pas. Et pourtant, dans les faits... ben, c'est Counter-Strike. En version 1.6. Si vous vous plaignez de l'aspect visuel de CS:GO, sachez donc qu'en Asie, leur FPS favori tourne encore avec des graphismes qui ont été abandonnés ici depuis huit ans. À part ça, difficile de voir une nette différence dans le gameplay ou dans les mécaniques de jeu. Les "Black List" doivent poser une bombe sur un bombsite A ou B, les "Global Risk" doivent les en empêcher ou désamorcer la bombe si elle est plantée. Seul l'aspect économique est absent et permet, comme avec Sudden Attack, de séparer CrossFire et Counter-Strike.
Donc, CrossFire, c'est ça. Ici, les highlights de la grande finale des World Cyber Games 2019
Mais alors, pourquoi un tel succès ? Pourquoi lui ? Comment une pâle copie coréenne de CS a réussi à devenir l'un des titres les plus joués au monde ? Le combo jeu conçu spécifiquement pour le marché asiatique + free-to-play + soutien de Tencent semble avoir fait des miracles. Sa date de sortie, 2007, lui a aussi permis de se développer avant le Counter-Strike Online de Valve et Nexon, apparu seulement en 2008. Un an d'avance qui a grandement joué : pourquoi installer CSO quand CrossFire proposait déjà, en gros, la même chose ?
Un point curieux en complément, CrossFire a aussi joliment percé en Amérique du Sud, plus particulièrement au Brésil. Des joueurs aujourd'hui mondialement connus sur CS:GO, notamment FalleN, fer, fnx ou HEN1, ont pendant un moment démontré leur talent sur cet autre jeu, alternant même entre les deux durant quelques périodes, avant que la scène brésilienne n'explose véritablement sur Global Offensive grâce aux exploits de KaBuM/Keyd Stars/Luminosity.
FalleN plein centre, sous les couleurs de paiN, lorsqu'il jouait encore à CrossFire
Évidemment, une telle réussite ne pouvait que conduire à l'émergence d'une scène esport. Les compétitions sur CrossFire existent depuis de nombreuses années et la professionnalisation du milieu n'a pas épargné le jeu. Les Finales des CrossFire Stars, la compétition phare, dépassent les 800 000 $ de cashprize. Chinois et Brésiliens se disputent généralement le titre, malgré quelques incursions d'équipes venant d'autres pays asiatiques ou de Russie.
Ce n'est toutefois pas ce seul succès populaire qui est si particulier avec CrossFire. Non, ce qui lui fait passer un cap supplémentaire, c'est son aura en dehors du monde vidéoludique. Début 2020, un film basé sur le jeu a été annoncé, coproduit par Sony et le producteur de Fast and Furious. Tout récemment, une série chinoise a été lancée sur Tencent Video, mettant CrossFire au centre d'une intrigue digne des plus belles heures de France 3. Par contre niveau moyens, ce n'est pas la même chose que Capitaine Marleau : 38 millions de dollars de budget et une production qui aura duré quatre ans. Vous imaginez un projet équivalent avec CS:GO en vedette ?
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CrossFire n'a sans doute pas fini de faire parler de lui puisqu'un nouvel opus dédié à la Xbox One, CrossFireX, est prévu pour 2020. Complètement absent dans une majeure partie du monde occidental, le titre poursuit ainsi sa petite vie et prouve qu'une bonne copie, c'est capable de faire un sacré bout de chemin.
Counter-Strike est bien présent en Asie… mais pas sous le nom Counter-Strike
Les FPS ne sont donc pas inexistants en Asie. Simplement, les titres qui triomphent ne sont pas toujours les mêmes qu'ailleurs dans le monde. Ceux cités au-dessus ne représentent d'ailleurs qu'une infime partie du catalogue disponible et de nombreux autres jeux, plus ou moins ressemblants à CS, ne vivent presque qu'en Asie, depuis Special Force jusqu'à Alliance of Valiant Arms en passant par Point Blank. Conçus par des éditeurs locaux, sans doute bien plus au courant des habitudes de jeu et de consommation asiatiques que Valve ne pourra jamais l'être, ils parviennent à rivaliser avec la concurrence venue de l'étranger. Les restrictions qui peuvent désormais s'appliquer au marché chinois, où CS:GO n'a par exemple pu réellement se développer qu'après un partenariat trouvé avec le distributeur local Perfect World, ne facilitent pas non plus les choses.
Est-ce que l'éditeur américain était pour autant condamné à échouer ? Non, bien sûr, et certaines de ses décisions ne l'ont d'ailleurs clairement pas aidé. En 2004, sa volonté soudaine de taxer chaque ordinateur de PC Bang (cybercafé coréen spécialisé dans les jeux vidéo) proposant ses jeux a ruiné sa réputation en Corée du Sud et a fait disparaître Counter-Strike du paysage. La conquête de l'Asie était déjà ardue, elle est alors devenue quasiment impossible. Plus récemment, avec Overwatch, Blizzard a tout de même prouvé qu'un FPS conçu par une entreprise occidentale pouvait briller à l'autre bout du monde. Il sera d'ailleurs intéressant de voir si Valorant, édité par Riot Games et donc soutenu par Tencent, parvient à en faire de même.
Il n'est pas dit que CS:GO ne domptera jamais l'Asie. Après tout, la même rengaine sur la future percée asiatique ressort tous les ans depuis un moment maintenant, peut-être se réalisera-t-elle pour de bon un jour. Mais ce n'est pas parce que Counter-Strike: Global Offensive, et précisément ce jeu, n'a pour l'instant pas sa place là-bas, que Counter-Strike tout court n'y est pas. Regardez un match de CrossFire, et osez dire que cela ne ressemble pas à s'y méprendre à du CS. Peut-être même que Valve ou d'autres acteurs de l'écosystème pourraient y piocher de l'inspiration. Des producteurs audiovisuels y ont bien été assez sensibles pour en faire un film et une série, après tout.
Merci à Elnum pour la bannière