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Le paradoxe de l'Italie
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Plongez dans vos souvenirs et essayez de vous rappeler de la dernière fois où vous avez entendu parler de l'Italie sur la scène compétitive Counter-Strike. Souvenez-vous des meilleures performances des équipes italiennes sur CS:GO ou de ces joueurs italiens dont la renommée à dépassé leurs frontières.
Pas facile, hein ? Il faut dire que l'Italie sur le FPS de Valve, ce n'est pas une franche réussite. Aucun top 4 international obtenu depuis la sortie de Global Offensive, en 2012. Aucun joueur n'ayant réussi à percer pour se faire un nom, même de manière épisodique. C'est bien simple, sur la carte du monde de CS:GO, l'Italie n'existe quasiment pas. On se souvient davantage du pays pour les rares compétitions qu'il a accueillies (notamment les finales FACEIT League S2 à Milan, en 2015, où iBUYPOWER avait battu LDLC 31-27 / 16-12 en demi-finale pour réaliser ce qui reste encore aujourd'hui l'une des meilleures performances d'une équipe américaine sur le sol européen) que pour les succès de ses formations.
Et c'est un sacré paradoxe. L'Italie est le cinquième pays européen le plus peuplé avec 60 millions d'habitants, six fois plus que la Suède et dix fois plus que le Danemark. Comment se fait-il qu'il soit l'un des seuls à être autant absent sur la scène mondiale ? Même des nations comme l'Estonie (avec ropz et HS), la Lituanie (avec Kvik, l'ex-Quantum Bellator Fire) ou la Bosnie-Herzégovine (avec NiKo) ont réussi à placer leurs représentants dans le top ou le subtop mondial.
Sur les anciens opus de Counter-Strike, l'Italie n'était certes pas au sommet, mais elle était bien présente. Sur Source, le top 3 d'OX.Enermax à l'Insomnia 40, derrière VeryGames et DEMONIC, ou son top 5/6 à la CPH Games 2010, derrière des noms comme Reason, Imperial ou ALTERNATE, en sont la preuve. Mais alors, où sont passés tous ces joueurs ? Pourquoi l'Italie ne peut-elle compter sur aucun représentant à l'international sur CS:GO ?
La rage des Italiens d'OX.Enermax à la CPH Games 2010
C'est ce que nous avons voulu savoir. Si l'Afrique du Sud a du mal à éclore sur CS:GO pour des prétextes pratiques et géographiques, si le Japon peine à se faire une place en raison de causes politiques et culturelles, l'Italie souffre d'un manque général de compétences, d'investissements, et paie aujourd'hui de nombreuses années d'attentisme et de laisser-aller. C'est ce que nous a appris, entre autres, Alain "aLaaa" Antoniazzi, ancien joueur et actuel gérant de KNIFEROUND.it, site et webtv de référence en Italie en ce qui concerne Counter-Strike. Il nous a parlé de l'histoire du jeu dans son pays, de la situation actuelle et des motifs d'espoir pour l'avenir. Afin d'essayer de comprendre pourquoi l'Italie a tout de l'anomalie.
Peux-tu te présenter et nous dire quels sont tes rôles sur la scène italienne de CS:GO ? Bien sûr, je m’appelle Alain « aLaaa » Antoniazzi et je travaille en tant que PDG de SHADE, une agence esport verticale basée sur CS:GO et qui opère sur l’ensemble du globe. Nous sommes surtout connus pour avoir créé le site de conseils de paris CSGO.guru durant le « boom des paris sur les skins » en 2014-2015, populaire auprès des professionnels. Mais de nos jours, nous collaborons principalement avec les organisateurs de tournois et les marques. La communauté française se rappellera peut-être de moi avec Team Doges, une équipe italienne (maintenant morte) qui a carburé en 2016 et qui a également gagné l’une des premières éditions de l’Aera Tournament. Depuis un an, nous gérons KNIFEROUND.it, une organisation à but non-lucratif créée dans le but d'alimenter et de raviver la scène italienne. Ici, en Italie, nous avons rassemblé la communauté sur un site similaire à VaKarM, chose nécessaire pour faire pousser des racines solides. Mais nous diffusons aussi tous les événements CS:GO internationaux (BLAST Pro Series, DreamHack, IEM, ESL et plus) en italien et nous prenons soin d’organiser et de retransmettre la plupart des événements qui ont lieu dans le pays.
Est-ce que tu as toi-même un passif de joueur compétitif sur Counter-Strike ? Oui, j’ai commencé à jouer à Counter-Strike quand j’avais 15 ans. Sur 1.6 je jouais pour Team Impact, l’une des équipes italiennes les plus renommées, mais j’ai également tenté ma chance dans plusieurs mix européens. Mais j’ai arrêté de jouer compétitivement en 2007, et depuis j’ai suivi le développement de la scène en me concentrant sur sa partie internationale. Je n’ai pas (directement) retouché à la scène italienne pendant les dix années qui ont suivi. De tous les pays européens, l’Italie est l’un des seuls à ne pas avoir d’équipes ou de joueurs au très haut niveau. Le jeu est-il populaire dans le pays ? La communauté est-elle importante ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, CS:GO fait partie des jeux les plus populaires en Italie, avec une base comprise entre 200 000 et 350 000 joueurs. Mais le sérieux manque d’investissements et de planification a paralysé la scène italienne pendant des années et empêché l’évolution d’un assez bon nombre de joueurs occasionnels vers quelque chose de bénéfique pour la scène compétitive. Toutefois, c’est quelque chose qui a commencé à changer l’année dernière avec le lancement de l’Italian Pro League, un équivalent à la FPL développé en partenariat avec FACEIT et sur le point de faire sa deuxième saison. Comment se situe CS:GO en Italie par rapport à d’autres grands jeux esport comme LoL ou DotA 2 ? Est-ce que l’Italie est mieux représentée sur ces derniers et CS:GO est une exception, ou est-ce que l’esport italien en général est assez peu développé ? En termes d’équipes, je peux aisément affirmer que CS:GO est le titre esport qui possède le plus grand nombre d’équipes, puisque nous en avons à peu près 40 s’affrontant dans le championnat national (en 2016, nous n’en n'avions que six). D'ailleurs, les chiffres d’audience de CS:GO continuent de grimper, et même si LoL est en avance de ce point de vue, on doit garder à l’esprit que Riot soutient LoL financièrement et en termes d’infrastructures depuis des années, alors que KNIFEROUND a seulement relancé la scène CS:GO italienne l’année dernière. Quelle était la situation sur les jeux précédents, CS 1.6 et CS:S ? Est-ce que la faible représentation de l’Italie sur CS:GO s’inscrit dans une continuité, ou est-ce qu’il y a eu une vraie cassure quand il a fallu changer de jeu en 2012 ? À l’époque, nous avions nos hauts et nos bas. Quand on parle de CS 1.6, les Cubesports étaient sans nul doute l’équipe italienne de référence (il est fou de voir que certains de ses joueurs jouent encore aujourd’hui). Mais, personnellement, je pense que nous avons brillé le plus pendant l’ère CS:S, avec OX.Enermax qui jouait à un niveau relativement bon, faisant de belles choses à des événements internationaux comme l'Insomnia. Sur CS:GO, nous n’avons pas trop mal commencé, avec CPlay qui jouait plutôt bien au début du jeu, mais tout s’est écroulé par la suite. Toutefois, comparé aux débuts, nous avons maintenant une communauté beaucoup plus constante, et nous savourons un pic que nous n’avons jamais connu dans la mesure où nous n’avons jamais eu tant d’équipes jouant et s’améliorant qu’actuellement. Quelles sont les meilleures équipes italiennes, et où se situent-elles dans la hiérarchie du subtop européen environ ? Maintenant que nous avons stabilisé nos fondations, nous nous améliorons rapidement, et je pense que nous verrons une ou deux équipes italiennes percer dans le Tier 3 européen avant la fin de l’année. Par exemple, en se basant sur ce qu’on a pu voir récemment, aux qualifications DreamHack et ZOTAC Masters, des équipes comme Forge ont semblé proches du subtop européen (pendant les qualifications ZOTAC, elle a réussi à arriver jusqu’en overtime contre Valiance et à battre Singularity). Mais Forge n’est pas la seule équipe, je pense également à MKERS (l’équipe de biohazard) et à MorningStars (l’équipe de Stylahhhhh), qui réussissent bien et qui montrent un potentiel correct. Les joueurs qui en font partie peuvent-ils vivre de CS:GO ? Les structures du pays ont-elles les moyens d’investir dans cinq salaires ? Oui, actuellement il y a au moins trois organisations capables de proposer un salaire à leurs joueurs. Il faut noter que ces salaires ne sont pas très élevés ou ne sont pas suffisants pour permettre aux joueurs d'en vivre pour l’instant, mais c’est un pas dans la bonne direction et ils vont certainement augmenter au fur et à mesure que la scène italienne gagne en visibilité et en exposition. Il existe un Championnat National ESL Italia, regroupe-t-il les meilleures équipes du pays ? Quelle est son importance sur la scène nationale ? L'EIC (ESL Italia Championship) est sans aucun doute l’une des choses les plus importantes qui soit arrivée à la scène italienne l’année dernière. Ramener ESL sur la scène CS:GO locale après des années d’interruption est quelque chose qui a transformé le paysage du jeu et qui a accru son expansion. Cela nous a aussi apporté un partenaire solide capable de co-investir dans la scène et de développer des projets sur le long terme. Quels sont les autres grands rendez-vous italiens, les lans nationales incontournables à ne pas manquer pour les équipes ? Comme pour le reste, le paysage des lans est toujours en évolution. Après plusieurs années sans (ou avec un seul) événement par an, je suis heureux de voir que CS:GO va être le titre esport le plus représenté aux prochains événéments en Italie. On a commencé à la mi-juin avec les Finales européennes des ZOTAC Masters et nous venons de terminer les Finales de l'EIC. Nous allons avoir deux ou trois lans supplémentaires pendant l’année, mais je ne peux pas en révéler plus actuellement.
Certains jeunes joueurs donnent-ils de l’espoir pour les années à venir ? Est-ce que des pépites italiennes peuvent émerger via des circuits comme la FPL ? Absolument, le plus célèbre est bien évidemment Lorenzo « biohazard » Garufi, il s’en sort bien en FPL et il a participé à GAMERZ plus tôt cette année (où il est presque arrivé en finale). Mais il n’est pas le seul, Marco « Sparker » Forte le suit de près (il a fait sensation dans le Tier 3 avec l’équipe Endpoint il y a un an). À part eux, quelques jeunes talents se développent, comme Alex « FUSiON » Dincof. Cela vaut le coup également de se rappeler de quelques vétérans de CS 1.6/CS:S comme Riccardo « kIMERA » D'Urso, Guglielmo « GUGLi » Carraro et Christian « Stylahhhhh » Forte, qui ont toujours un immense impact sur le jeu et le développement de l’ensemble de la scène italienne. On sait que la scène anglaise s’est écroulée en arrivant sur CS:GO à cause du manque d’entente entre les joueurs et des équipes qui ne faisaient que changer en permanence. Cela pourrait-il aussi expliquer la faiblesse de la scène italienne ? Comment sont les rapports humains ? L’animosité est sûrement un problème sur la scène anglaise, mais en dehors de ça, ses solides infrastructures et l’environnement compétitif assez stable l'aident à garder de bons joueurs et des spectateurs. En revanche, la scène italienne souffre principalement d’un manque d’infrastructure et d’une incompétence générale (mais on parle de l’Italie, vous ne devriez pas être surpris). Pour la faire courte, un groupe de personnes sans relations ni connaissances a dirigé la communauté durant plusieurs années, ce qui l'a condamnée. KNIFEROUND a inversé ça, en plaçant les joueurs et personnes les plus reconnues au centre de l’attention. C’est pourquoi vous pouvez voir le drapeau italien de plus en plus souvent sur HLTV ou Twitch. Quoi qu’il en soit, nous avons encore une route longue et sinueuse devant nous. À propos des relations humaines, les équipes et joueurs s’entendent bien entre eux. Bien sûr, il y a quelques rivalités (particulièrement dans le top 3), mais dans l’ensemble tout le monde va dans la même direction, et encore une fois le mérite revient aux anciens qui ont bien progressé. Quels sont les autres principaux freins à l’expansion de la scène italienne sur CS:GO ? Au cours des dernières années, les jeux comme Call of Duty, Rainbow Six et Overwatch ont tiré avantage des faiblesses de la scène CS:GO italienne. Maintenant que les fonds et les joueurs reviennent vers Counter-Strike, je suppose que certains jeux verront leur « espace » diminué, ce qui pourrait conduire à quelques « résistances » qui pourraient entraver le développement de CS:GO. Mais j’espère que nous allons pouvoir effectuer une transition sans accroc, parce qu'honnêtement Counter-Strike va réclamer le trône de toute façon. Un autre problème pourrait être lié aux événements, afin d’avoir une scène en bonne santé il faut éviter les situations de monopole, donc j’espère que l’on verra plus d’organisateurs de tournois se tourner vers le marché italien vu son développement et sa maturité.
Peu de gros tournois internationaux de CS:GO ont lieu en Italie malgré la présence de circuits mondiaux, comme celui de la DreamHack Open ou de l’ESL. Comment expliquer cela ? Un gros tournoi n’encouragerait-il pas la scène à se développer ? Nous avons de très bonnes relations avec ESL, Dreamhack, FACEIT et aussi RFRSH, et tous sont intéressés par le développement de la scène italienne. Avec le lancement de KNIFEROUND il y a un an, nous avons commencé à diffuser toutes leurs compétitions de manière régulière (chose qui n’était jamais arrivée avant), et nous avons également commencé à éduquer le public italien sur la scène internationale. Bien qu’en pleine expansion, cela requiert néanmoins du temps et de la patience. Je suis convaincu qu’à partir de cette année, l’Italie va être prête à accueillir des compétitions internationales, et c’est une chose qui doit se faire en parallèle de la progression des équipes italiennes. Nous avons eu un avant-goût du CS « international » (depuis les phases finales FACEIT en 2015) il y a seulement quelques semaines avec les ZOTAC Masters, et malgré quelques problèmes mineurs la qualité globale de l'événement était bonne, et a aidé à mettre un coup de projecteur sur l’Italie. En France, plusieurs réflexions politiques sont en cours pour faire avancer l’esport, faciliter la professionnalisation des joueurs, reconnaître la discipline, etc. Quelle est l’attitude des pouvoirs publics et des politiques en Italie sur l’esport ? C’est également un grand débat en Italie, mais je suis contre l’assimilation de l’esport au sport. Non pas car je suis opposé à la régulation de la discipline, mais car je trouve que le faire si tôt nuirait à la croissance de la scène italienne. En France et dans d’autres pays, les régulations sont basées sur des connaissances concrètes et aident beaucoup. Mais en Italie, le gouvernement est trop fermé et ne connaît pas suffisamment la discipline pour légiférer sans lui nuire. Donc j’espère pour l’instant que les politiciens resteront distants, et la seule implication que je souhaiterais serait vis-à-vis des paris, car pour une raison étrange ceux-ci sont autorisés sur LoL mais pas CS:GO (en raison d’une politique vétuste sur la représentation de la violence). La télévision et les médias grand public parlent-ils de l’esport de temps en temps ou est-ce encore peu répandu ? Oui et non. L’esport a bien évidemment commencé à faire son apparition sur les chaines de télévision plus régulièrement, bien que ce soit souvent lié à FIFA. De manière générale, l’esport est encore considéré comme une niche, et même s’il est bien connu des 14-26 ans, il y a encore une certaine réticence des chaînes télévisuelles pour considérer des jeux comme CS:GO comme du contenu grand public. Mais c’est quelque chose qui va probablement changer, grâce notamment à certains organisateurs de compétitions internationales qui incitent doucement les chaînes de télévision à offrir une couverture de ces événements. Pour vérifier quel genre d’Italien tu es : pizza, spaghettis ou raviolis ? Pizza hawaïenne. Blague à part, je pars sur des spaghettis, vu que #SpaghettiCSGO est le hashtag officiel de la scène italienne. Merci pour tes réponses ! Le mot de la fin est pour toi, si tu as un dernier message à faire passer à la communauté française. Merci de m’avoir donné l’opportunité de parler un peu de la scène italienne. Je suis vraiment honoré d’apparaître sur VaKarM, dans la mesure où je trouve que ce vous faites en France est vraiment inspirant, ainsi qu’un solide exemple de ce qu’une scène vraiment structurée peut faire en faisant front commun. Merci encore, j’espère que nous aurons l'occasion de voir des équipes italiennes et françaises s’affronter sur une grande scène, comme c’est une rivalité classique qui mérite d’exister aussi sur CS:GO. Et bien sûr bravo pour la Coupe du Monde les cousins ! |
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Un grand merci à aLaaa pour ses réponses !
Merci également à LordBaguette pour les bannières, DurandalSword, ToyToy et Jujubez pour la traduction.
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