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La préhistoire de Counter-Strike avec bisou

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Deux ans et demi après la parution du magazine VaKarM, fin 2021, nous avons décidé de mettre en ligne les principaux articles le composant, histoire d'en faire profiter ceux qui ne l'avaient pas commandé à l'époque. Ne vous étonnez donc pas si ces articles vous disent quelque chose, il est possible que vous les ayez déjà lus sur papier !

Interview réalisée en janvier 2021 par MrHusse

Plongée dans l’univers des écrans CRT, des souris à boule  et des cybercafés avec bisou, mythique leader de la scène  française des années 2000. Il revient sur cette époque de  pionniers, alors que le jeu était encore à un état embryonnaire.

Comment as-tu découvert CS et commencé à y jouer de façon compétitive ?

Au début, c’était MoMaN, un ami de mon frère et moi, qui m’a amené dans une salle de jeu en réseau dans le quartier où on habitait. J’avais 16 ans et il m’a fait jouer à Quake 2. Ensuite, il m’a fait découvrir StarCraft, puis on a joué ensemble à Brood War quand il est sorti. J’avais fait les qualifications WCG France sur Brood War, où je pensais aller en Corée pour les finales. J’ai perdu à la limite des places qualificatives contre quelqu’un que je battais régulièrement et ça m’a dégoûté d’un jeu solo, même si je faisais partie du top français avec MoMaN.

Je me suis lancé dans CS en jouant sur ZonejeuX, toujours dans le même cyber. J’ai bien accroché et je suis allé dans une salle moins chère qui s’appelait FairGame. C’est là que j’ai commencé à jouer en équipe, sous le tag E-Team. De fil en aiguille, FairGame était le concurrent de *A* (ndlr : Alliance, qui deviendra plus tard *aAa*), on s’affrontait souvent, puis goodgame est arrivée et, de là, j’ai grandi dans le jeu. Après FairGame, j’ai rejoint *aAa* avec Maarek, ElTiozo, Emkill, r0nan et kyo. J’ai joué avec eux, sous le lead de Maarek. Premier tournoi au bout d’un mois, on va à la CPL Cologne 2002, j’étais une bête de skill et j’ai adoré ça.

Après un tournoi en France, j’ai eu envie de créer moi-même le jeu, de mener la danse, parce que je n‘étais plus en accord total avec Maarek. J’étais un petit con de 18 ans et j’ai décidé de créer mes propres équipes, c’est comme ça que ma carrière de lead a commencé.

 

Vous formez quasiment les premières équipes de la scène française. Est-ce que, immédiatement, on retrouve un leader qui prend la direction stratégique ?

Ça s’est fait naturellement. Au tout début, avant que ça devienne compétitif, des cybercafés organisaient des petits tournois pour gagner des heures de jeu. Au lieu de payer pour jouer, tu gagnais une carte avec des heures. Surtout qu’à l’époque, on était jeunes, on n’avait pas de revenus donc il fallait se débrouiller. Les premiers tournois, c’était du 4v4 et là, j’ai pas le souvenir qu’il y avait réellement un leader, c’était skill contre skill. C’est quand on est passés en 5v5 que c’est devenu plus sérieux, que des capitaines sont apparus.

Pour la petite histoire, Maarek a créé E-Team. À la base, on était cinq et on tournait pour savoir quelle équipe de quatre on allait aligner pour ces tournois. Après ça, Maarek est parti chez *A* et nous, on est restés chez E-Team. On faisait partie du top 5 français mais c’était encore un peu FFA, tout le monde avait son mot à dire. Mais très vite, j’ai pris beaucoup de place dans le lead, malgré mon jeune âge. Après, c’est Maarek qui m’a fait venir chez *A*, et dans mon souvenir j’avais une map à lead. Comme on était une équipe à six, il me laissait une carte et s’occupait des autres, moi je sortais sur Nuke. On était précurseurs de ce que faisait Vitality !

À quoi ressemblait l’entraînement d’une équipe de CS au début des années 2000 ?

On avait un coach mais il n’avait pas la même importance, il n’assistait pas à tous les entraînements, il n’y avait pas d’analyste. On se donnait rendez-vous à une heure, on organisait nos pracs à l’avance sur des channels IRC avec des équipes européennes de haut niveau. On jouait de 18h jusqu’à minuit ou 1h. À cette époque, il y avait une vraie passion, les jeux vidéo étaient encore une nouveauté pour beaucoup de gens. Tu pouvais passer des heures et des heures à jouer, sans être usé par l’écran, malgré des conditions de jeu précaires.

On jouait de chez nous, même si les connexions n’étaient pas exceptionnelles. Il fallait aller en cybercafé pour avoir un ping correct. Chez *aAa*, on faisait la majorité de nos entraînements dans un cybercafé qui se trouvait à Pigalle, où on se réunissait tous. On essayait de s’entraîner au maximum en étant au même endroit, ce qui n’est pas très différent des bootcamps actuels. La différence, c’est qu’aujourd’hui, ça joue en journée. Mais déjà, on s’entraînait six jours sur sept, et le septième jour on jouait quand même à CS parce qu’on adorait le jeu. On ne comptait pas les heures, on n’avait rien à envier aux pros d'aujourd’hui.

La vie d’un joueur du top à l’époque, ça faisait des journées bien remplies ?

Évidemment. À 16 ans, je rentrais de l’école, je faisais mes devoirs et je jouais jusqu’à pas d’heure, jusqu’à ce que mes parents s’énervent pour que j’aille me coucher. La seule chose qui m’arrêtait, c’est quand je n’avais plus les moyens d’aller en cyber, avant qu’on soit sponsorisés par ces mêmes salles.

Quel type de leader était Maarek ? Est-ce qu’il existait déjà des styles stratégiques différents ?

Moi, j‘avais un style de jeu très rapide. Chez *aAa*, quand j’arrive, c’était beaucoup plus lent, plus posé. Pour la petite histoire, on a regardé la démo de la finale de la CPL 2002 avec un pote récemment. Le jeu était abominable à regarder, c’était à vomir stratégiquement. Ça a bien évolué à partir de 1.6, tout était beaucoup plus poussé. Au début il y avait les smokes 16 bits, donc déjà on ne pouvait pas les utiliser, il a fallu attendre les configs CPL qui forcent le 32 bits (ndlr : il était possible de voir à travers les smokes en configuration 16 bits).

Le jeu de *aAa* était très lent, avec des control maps ou des rushs. Tu t’adaptais en fonction de l’équipe en face. Il y avait déjà l’idée d’une économie à gérer et notamment une particularité sur les rounds d’attaque : si les terroristes allaient jusqu’au bout d’une manche et survivaient, les CT gagnaient le round mais ils n’empochaient que très peu d’argent. Il y a une équipe suédoise qui a commencé à exploiter ça, ça a transformé la dynamique des écos et des contre-écos.


Maarek, leader à lunettes et accoudé

 

Il y a des leaders qui t’ont influencé en dehors de ceux avec qui tu as joué ?

Personne. Je n’ai jamais regardé une démo de ma carrière. Les premières démos que j’ai regardées, c’était il y a quelques mois. Je voulais créer mon propre jeu, mon propre style. Même le style de Maarek, j’ai peut-être récupéré des choses inconsciemment mais je n’ai pas essayé de ramener des choses à lui dans mon jeu. Il faut rappeler que c’était beaucoup plus compliqué de regarder les démos, de les analyser, ça prenait plus de temps qu’aujourd’hui.

J’avais un style plutôt agressif, et je le faisais parce que c’était casse-couilles. J’ai toujours eu ce principe de jeu d’imposer mon style, peu importe ce que faisaient les gens en face. Mon objectif, c’était de casser les couilles aux gens, de les obliger à s’adapter à moi et non l’inverse. Comme on était très bien préparés sur ce qu’on allait faire et qu’il était difficile pour ceux d’en face de s’adapter, on avait automatiquement l’avantage.

Comment vous adaptiez-vous aux changements de règles, entre MR12 et MR15 par exemple, parfois d’un tournoi à l’autre ?

Il faut savoir qu’au début, les règles étaient basées sur le temps. Il y avait une limite de temps et à la fin du match c’était terminé, peu importe le score. Après le temps, on a eu le MR12. Et là, le pistol round était hyper important, c’était 50 % de ton match. Si tu le perdais, derrière tu partais en éco, voire en double éco, c’était fou. Le MR15 permettait de perdre le gun round. En plus de ça, de nouvelles armes sont arrivées, comme la Galil, le Famas, qui ont permis de réduire les écos.

Ce qu’il y a de plus important dans CS, c’est l’économie. Une fois que tu gères ça, peu importe l’époque à laquelle tu joues, tu gères ton match. Ça ne veut pas dire que tu vas gagner ou perdre, mais tu comprends ce qu’il se passe et tu peux adapter ton jeu en fonction. Tu ne joues pas de la même manière si tu sais que c’est une éco ou un achat forcé, que s’ils sont armés jusqu’aux dents.

À quel moment tu sens qu’il faut que tu prennes le lead ?

C’est le principe du joueur français sur CS, on n’est jamais contents, on veut toujours mieux. Il y a ceux qui râlent, qui critiquent, et ceux qui agissent. Moi je voulais agir, je critiquais beaucoup. On n’est jamais mieux servi que par soi-même après tout.

Le plus dur quand tu veux faire, être le patron de ton équipe, c’est de convaincre les autres de te suivre. Arriver à présenter ta vision de jeu, expliquer ton projet et attirer les joueurs. Une fois que t’as des gens qui veulent te suivre jusqu’au bout, ça devient une partie de plaisir. Quand tu dis "go A" à un mec, il ne réfléchit pas, il fonce, c’est un plaisir, il y a une confiance mutuelle.

Françoise Dolto disait que pour qu’un groupe vive, chacun devait avoir sa place dans une équipe. Si chacun n’a pas un rôle et une place, le groupe peut mal vivre. Chaque rôle est important : le leader, la tête de turc, l’homme fort, etc.

Quelqu’un comme Ozstrik3r, c’était probablement le joueur le plus nul avec qui j’ai joué, vraiment le plus nul. Mais ça devait être le joueur le plus important avec qui j’ai joué dans ma carrière, parce qu’il apportait quelque chose de différent. C’est pas le tout d’entendre ou de comprendre ce que te dit ton leader, encore faut-il pouvoir l’appliquer. Oz, il comprenait tout, il comprenait les gens. Il n’était pas le plus à l’aise avec une souris, mais il était toujours présent dans les matchs difficiles.

Pour prendre un exemple plus récent, apEX a été très critiqué parce qu’il ne fait pas assez de frags, parce qu’il rate des trucs, etc. Mais il apporte tellement de choses dans le lead, dans le raisonnement, que tu ne peux pas le critiquer comme ça. Moi, j’ai un mec nul qui sert à rien dans une équipe, je le vire immédiatement. Pourquoi ce serait différent pour eux ? On en revient à Dolto, chacun apporte sa pierre. Peut-être que ZywOo ne brillerait pas autant sans apEX.

Raconte-nous le recrutement d’Ozstrik3r.

On s’est rencontrés autour d’un verre, dans un bar-karaoké qui s’appelle L’Époque, pas très loin de Pigalle. Il était avec ses potes, tous plus âgés que moi et on a commencé à discuter. On avait un coup dans le nez, c’était sympa, et à un moment il m’a dit "viens jouer avec nous !". À ce moment-là, il était chez Just A Shoot (JAS). Pour l’époque, c’est comme si moi, aujourd’hui, je demandais à ZywOo de venir jouer avec nous en ESEA Open. Donc je lui dis non, mais je lui propose un truc. Je lui dis "quand j’arrête de jouer chez Hostile Records, je viens avec vous". Il me dit "ok, pari tenu".

À un moment donné, j’en ai eu marre de jouer chez Hostile, le jeu à haut niveau me saoulait, j’ai fait un communiqué sur Team-*aAa* pour dire que j’arrêtais le jeu. Une heure après l’interview, Oz m’appelle, deux ans après notre discussion, pour qu’on aille jouer ensemble. Il me dit "tu me l’avais promis !". Donc j’accepte et je rejoins JAS.

Un an après, on est champions de France. Son équipe n’était pas nulle, il y avait des talents : Xp3, Dr.Crow, Kristen. On a écarté Kristen, on a essayé d’autres joueurs jusqu’à ce qu’on trouve YanK, qui était un monstre. En un an, on finit champions de France en partant du top 200 français.


Ozstrik3r, bisou, Dr. Crow, Xp3 et YanK chez WebOne, la meilleure équipe française en 2006
(photo : *aAa*)

 

Est-ce que tu voyais déjà un futur lead en Oz ?

Il leadait déjà avant que j’arrive en fait. Il m’a demandé de venir pour lead son équipe, qui manquait d’expérience. Mais c’est un meneur d’hommes. Qu’est-ce qu’on demande au leader ? Lire le jeu, imposer son style et mener les hommes, avoir du charisme. Et son parcours jusqu’à aujourd’hui montre qu’il l’a toujours.

Est-ce que tu éprouvais la même chose avec Xp3, qui est également devenu leader puis coach ?

Moi, je ne l’ai pas ressenti. Mais c’était un génie du jeu. T’as des gens qui sont juste forts. YanK, par exemple, a été le meilleur joueur français, et de loin, que j’ai connu dans toute ma carrière. Son niveau de jeu à l’époque, c’était incroyable, il faisait partie des génies. Crow était aussi un monstre, puis Oz et moi à côté. Il y a des gens pour qui c’est naturel, tu peux pas l’expliquer, ils ont des facilités à faire les choses.

En reparlant avec Oz de temps en temps, il me disait qu’il continuait à m’utiliser comme exemple dans ses projets suivants, même si les joueurs ne me connaissaient pas. On n’a jamais vraiment reparlé avec Xp3, mais peut-être qu’il s’est inspiré aussi. Quand t’es intelligent, tu dois t’inspirer comme ça, de ce qui t’es arrivé. Et comme il était un génie dans le jeu, j’imagine qu’il a dû se servir de cette expérience avec nous dans la suite de sa carrière.

Tu parlais de ton style de jeu très rapide, très agressif. Concrètement, comment organisais-tu ton équipe ?

Je me suis toujours adapté à mes joueurs. Si t’as un joueur plus passif, plus suiveur, mais qu’il est extrêmement fort et que tu ne le mets pas dans son bon rôle, tu le gâches. Il faut toujours mettre ses joueurs dans les meilleures dispositions possibles. Si tu mets Cristiano Ronaldo arrière gauche, tu le gâches. Tu peux adapter sans changer ta philosophie de jeu. T’as des équipes au foot qui sont dans la construction du jeu, elles ne vont pas changer leur style radicalement pour un joueur, mais tu peux te positionner ou construire différemment malgré tout.

Sur CS, c’est le même principe. Faut être capable de tirer le meilleur de chacun, et que chaque joueur te suive à 2 000 %. Le fait que le leader croie en ses joueurs permet à chaque joueur de croire en lui-même. Il doit être capable de transmettre ses émotions et ses envies auprès de ses joueurs.

J’imagine que c’est encore le cas aujourd’hui, même si j’ai l’impression que la mentalité entre les joueurs Global Offensive et les joueurs 1.6 n’est pas la même. J’aurais du mal à l’expliquer, mais ils approchent différemment le collectif. J’en discute avec d'anciens pros sur 1.6 et ils remarquent la même chose. Je ne dis pas que c’est mieux ou moins bien. Pour moi, c’était mieux sur 1.6, mais c’est la nostalgie qui parle.

L’ampleur qu’a pris le jeu dans notre société doit jouer, forcément. À l’époque, quand je parlais à mes parents du jeu, des tournois, ils se moquaient de moi, ils me disaient "tu vas pas faire ta vie avec ça". Qui sait, si je ne les avais pas écoutés, je serais peut-être beaucoup plus riche aujourd’hui ! (rires)

Moi, je suis un mec qui pense équipe avant tout. S’il faut que j’ai deux kills à la fin pour qu’on gagne, ça ne me dérange pas. Aujourd’hui, beaucoup jouent pour les statistiques, pensent à eux avant de penser à l’équipe. À l’époque, pour être le meilleur, il fallait jouer dans la meilleure équipe. Personne n’avait peur de créer sa propre équipe et d’essayer d’atteindre le top avec les joueurs à sa disposition. Aujourd’hui, c’est plus individualiste, on pense à soi avant de penser à son équipe. Alors que le seul moyen d’être très fort, c’est de réfléchir en équipe, d’aider ses coéquipiers en difficulté. Si tu as commencé à jouer avec lui, c’est pas pour rien, tu croyais en lui. Si tu t’engages pas à fond dans ton équipe, ça ne sert à rien.

Comment choisissais-tu un joueur ? Qu’est-ce que tu cherchais quand tu préparais un recrutement ?

Ma priorité, c’était le bien de l’équipe. Prenons l’exemple de YanK. Les joueurs qu’on avait auparavant étaient trop individualistes. Oz trouve YanK et il me dit "lui, il est super fort". Moi, je donnais une confiance aveugle à Oz, et il m’a ramené le meilleur joueur français. Quand on recrute YoRLiN, Oz commençait à être en difficulté sur le niveau individuel. Jamais je l’aurais viré, mais de lui-même il a proposé de laisser sa place pour quelqu’un de meilleur. C’est YanK qui a proposé YoRLiN, ils se connaissaient du Sud. Donc j’ai décidé de faire confiance à YanK parce que c’est l’équipe, c’est comme ça.

Est-ce que tu as vu de grosses évolutions entre le début et la fin de la décennie 2000 ?

Ça n’avait plus rien à voir. En 2002, tu te faisais chier à regarder un match de CS. J’invite les gens à regarder la finale de la CPL Cologne 2002, soit l’équivalent d’un Major. Heureusement que le jeu a évolué, comme CS:GO entre les débuts et maintenant. On trouve des nouvelles façons de molo, de smoke, de faire des fakes, t’es obligé de faire évoluer ton jeu. Si tu restes sur tes acquis, tu ne fais plus rien.

Le kiff pour un leader, c’est d’être précurseur. Malheureusement pour moi, aujourd’hui il y a une caisse Maarek mais il n’y a pas de caisse bisou !


Ces casques, ces écrans, ces claviers, quelle époque ! (WebOne - Coupe de France 2006)
(photo : *aAa*)

 

Toi qui as beaucoup joué contre HaRts, quelle impression gardes-tu de ses équipes, qu’est-ce qui t’a marqué ?

Pour moi, un match contre HaRts, ça allait être dur. Dans ma tête, je me préparais toujours à un moment difficile. En même temps, après lui, quel leader français avait le niveau de HaRts ? À l’heure actuelle, je n’en vois pas. Peu importe la version du jeu, je pense que HaRts, tu le mets à l’âge où il commence sur 1.6 sur GO, il n'a rien à envier à personne. Après tu vieillis, tu perds en compétence, tu te fatigues plus vite, t’as moins la niaque qu’avant.

Jamais tu ne m’as entendu mal parler de HaRts. J’ai toujours admiré tous les leaders car je sais à quel point c’est difficile. En tant que leader, t’es un peu le vilain petit canard. T’es le premier à gueuler, le premier qu’on va voir quand ça se passe mal. Quand ça se passe bien, l’équipe sait pourquoi on a gagné, mais d’un point de vue extérieur, les gens ne le voient pas. C’est un rôle extrêmement compliqué parce que tu dois mener tout en jouant. Il faut que les joueurs acceptent tes ordres, tes échecs potentiels sans remettre ta parole en question. Individuellement, il faut rester au niveau, être capable de se concentrer sur son jeu en plus de celui des autres. Que je sache, il n’y a pas un leader qui a été considéré comme le meilleur joueur du monde.

Quand j’étais chez *aAa* et que je ne leadais pas, j’étais très fort. À la seconde où je me suis mis à lead, mon skill a pris un sacré coup. Je ne suis pas devenu nul, mais c’était compliqué.

Tu t’es remis à CS sur Global Offensive. Est-ce que tu trouves le jeu plus tactique que sur 1.6 ou juste différent ?

La tactique est différente. Certes, les stuffs étaient différents, les molotovs n’existaient pas, les smokes ne fonctionnaient pas de la même façon. Mais en même temps, tu ne pouvais pas décaler aussi facilement qu’aujourd’hui. C’était juste totalement différent. C’est comme le foot, entre les années 70 et aujourd’hui ça a changé parce que les règles ont évolué, le ballon a changé, le style de jeu et la façon de voir les choses ont changé. Ça ne veut pas dire que c’était mieux à l’époque, ou que les génies de l’époque n’auraient pas leur place aujourd’hui. CS:GO est le descendant de 1.6 et Source, la plupart des top joueurs viennent de ces jeux, comme GeT_RiGhT.

Le plus dur sur CS, c’est d’évoluer en même temps et de ne pas se reposer sur ses acquis. Avoir du talent, c’est une chose. Pouvoir le mettre en oeuvre dans le cadre d’une équipe, c’en est une autre. Je ne dirais pas que c’est plus complexe ou difficile aujourd’hui tactiquement, c’est juste différent.

Est-ce qu’on retrouve des similarités sur des cartes, comme Dust2, qui ont gardé la même forme à travers les âges ? Est-ce que tu retrouves certaines tendances qui te rappellent 1.6 ?

Il y a beaucoup de choses que j’ai oubliées, naturellement, vu que je n’ai pas joué pendant dix ans. Mais automatiquement, il y a des similitudes. On fait toujours des contrôles pour placer nos exécutions, des rushs, etc. Mais ça reste très différent. Les nouvelles grenades offrent beaucoup plus de possibilités, l’AWP se joue très différemment : un sniper de 1.6 et un sniper de GO, c’est totalement différent. Les HE ne font plus autant de dégâts, mais elles t’assourdissent, donc ça change beaucoup de choses, sans que ce soit plus difficile.

Après, oui, quand tu décides de partir sur un contrôle, les principes ne bougent pas, quelle que soit la version. Tu commences par te mettre en place sur la carte, tu étends ton dispositif. Tu sais que sur Dust2 par exemple, le plus important c’est le middle. Donc tu vas mettre un joueur long A, un joueur B et trois dans le mid, avec deux dans le bas du tunnel. Ensuite tu prends tes zones, ici la corniche. Après, t’as deux choix : soit tu exécutes, soit tu prends une autre zone et tu l’exécutes. Ça, ça n’a jamais changé depuis vingt ans. Ça peut varier en fonction de tes joueurs, de la fluidité de ton équipe et de ce que les autres mettent en place, mais le principe reste le même.

Quels sont tes objectifs maintenant que tu reviens sur GO ?

J’ai redécouvert CS récemment et j’ai immédiatement pris du plaisir. Et tout de suite, t’as envie d’être le meilleur. Mon équipe ne va probablement pas être la meilleure du monde, mais j’aimerais bien re-percer dans l’esport, parce que c’est intéressant humainement et financièrement, ça fait envie. Quand je vois des gens que j’ai formés et qui ont percé, je me dis qu’il y a une place à prendre. Je sais que je ne suis pas à des années-lumière en termes de vision d’équipe.

Mais dans un premier temps, je redécouvre le jeu, les sensations de la compétition. On va faire l’ESEA Open pour commencer et on verra par la suite. Mais si j’ai choisi ces joueurs, ce n’est pas pour rien, ou juste pour le plaisir. Quelqu’un comme Grayou m’a beaucoup appris sur GO et m’a accompagné pour me remettre au niveau. Mais une équipe, ça ne se construit pas comme ça, évidemment. On ne va pas gagner le Major avec ça mais c’est un bon début, on a une bonne structure, des bons coéquipiers, on va voir comment ça évolue.

Pour rattraper ton retard sur le jeu, est-ce que tu t’es enfin mis à regarder des démos ?

J’ai été obligé ! (rires) Je regarde beaucoup Astralis, mais toutes les équipes sont géniales à regarder. J’adore mouz, je regarde souvent ropz, je le trouve magique. Mais tu ne peux pas te contenter de copier ce qu’ils font, parce qu’il y a un skill monstrueux. Tu ne peux pas regarder une démo de ZywOo et te dire "je vais faire pareil". Chez une équipe comme Na’Vi, ils aiment faire des choses comme se cacher dans les smokes, jouer très lentement. C’est très fort, mais c’est aussi parce que t’as s1mple. Tu peux t’inspirer, mais tu ne peux pas juste copier. À la limite, il vaut mieux chercher des joueurs qui te ressemblent.

J’aime aussi beaucoup regarder karrigan, chrisJ, deux anciens joueurs de 1.6. Je suis aussi impressionné par apEX quand il prend le rôle de support, j’aime m’inspirer de lui. Pour des timings, des décals, j’aime bien le style de Boombl4. Mais ce n’est pas le tout de regarder les démos, encore faut-il le reproduire sur le serveur, comprendre pourquoi ils font ces mouvements, ces choix. Surtout que je repars vraiment de zéro donc j’ai tout à réapprendre, que ce soit individuellement ou collectivement, connaître les stuffs, me mettre à jour tactiquement.

Une conclusion sur le rôle de leader ?

Le lead, c’est ce qu’il y a de plus compliqué. Si j’ai bien compris un truc de la scène française, c’est qu’elle manque terriblement de leaders. Pourquoi ? Parce qu’un leader ça pense unité, ça pense pas individuel, et à cause de ça, il a le mauvais rôle. Si ça marche, c’est grâce aux stars, et si ça se passe mal, c’est sa faute. Tu vas prendre ce rôle-là, par choix ou par défaut, et derrière il faut assumer, c’est extrêmement difficile.

Que ton équipe soit inconnue ou au top du monde, c’est le rôle le plus dur. Il faut être légitime, pouvoir s’adapter, accepter les propositions des gens qui t’entourent. Tu ne m’entendras jamais dénigrer un leader, c’est tellement difficile à tenir comme rôle. Il faut arriver à créer une dynamique avec les rounds qui s’enchaînent pour garder les adversaires perdus, et chaque round perdu demande de recréer une nouvelle dynamique. Mentalement c’est éprouvant, ça demande une énergie incroyable.

Cette interview, de même que celles de HaRts, Ex6TenZ et krL, a été utilisée
dans "Leader in-game, le podcast", à écouter ici.

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