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Devenir leader sur Counter-Strike

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Deux ans et demi après la parution du magazine VaKarM, fin 2021, nous avons décidé de mettre en ligne les principaux articles le composant, histoire d'en faire profiter ceux qui ne l'avaient pas commandé à l'époque. Ne vous étonnez donc pas si ces articles vous disent quelque chose, il est possible que vous les ayez déjà lus sur papier !

Article rédigé par MrHusse

Rôle le plus difficile à jouer sur Counter-Strike, le leader in-game est la clé de voûte de toute équipe qui se respecte. Tour à tour cerveau stratégique, meneur d’hommes et organisateur méticuleux, il doit souvent multiplier les casquettes et assumer de nombreuses responsabilités sans pour autant bénéficier de la lumière des joueurs stars. Mais, au fait, comment devient-on leader sur CS:GO ? À quel moment un joueur lambda se dit qu’il va endosser un tel sacerdoce ? Et surtout, quels sont les obstacles à prévoir et les erreurs à éviter pour réussir sa transition ?

Un rôle... par défaut ?

L’histoire des grands leaders fourmille d’anecdotes et autres récits de joueurs à la détermination sans faille, poursuivant sans jamais renoncer une vocation qui les anime depuis leurs premières minutes de jeu. Mais derrière cette vision presque romantique du capitanat, la réalité est souvent plus simple et moins excitante.

Un des moteurs les plus classiques de la transition vers le lead est l’absence de lead. En d’autres termes, vous montez une équipe avec des amis, motivés par l’idée d’aller vous frotter aux tréfonds de l’ESEA Open, et personne ne veut prendre la responsabilité de diriger le jeu. Alors, pour dépanner, ou parce que vous aimiez bien parler quand vous faisiez du football en U13, vous vous dites "pourquoi pas". Et l’aventure commence.

Ainsi pour Lambert, ce fut la continuité naturelle de son expérience en hockey, où il a toujours été "le joueur qui prenait plus de responsabilités". Néanmoins, il admet que c’est aussi "l’absence de leaders dans le subtop français" qui l’encouragea à se spécialiser. Plus qu’une vocation innée, c’est la rencontre de traits de caractère personnels et d’une conjoncture particulière qui le poussa dans cette direction.


Le plus grand défi de Lambert (3ème en partant de la gauche) avec ses joueurs stars ?
Les convaincre que, seuls, ils ne peuvent rien.

Pour wallax et wasiNk, le constat fut encore plus clair : il n’y avait pas de leader dans leurs équipes respectives alors ils s’y sont collés. L’ancien joueur de *aAa* nuance : "Avant de prendre le lead, j’étais déjà quelqu’un de bosseur et de perfectionniste. Si les gens ne travaillaient pas, j’essayais de les pousser, ça a joué quand je me suis lancé dans le lead." wasiNk ne dit pas autre chose, parlant d’une transition "faute de mieux", bien qu’on lui ait toujours reconnu "l’âme d’un leader".

 

Penser son plan de jeu

Vouloir mener le jeu, pourquoi pas, mais dans quelle direction ? Si vous vous lancez dans cette aventure, il vous faudra une idée claire de ce que vous souhaitez faire avec votre équipe. Les styles sont aussi nombreux que les leaders, chacun ayant sa particularité tout en étant influencé par les autres.

Naturellement, votre premier réflexe sera d’aller télécharger les démos des plus grandes équipes pour essayer de suivre l’exemple des meilleurs. Pour wallax, c’est potentiellement une fausse bonne idée : "Lorsqu’on commence, il ne faut pas trop se prendre la tête avec du jeu compliqué, il faut rester sur les basiques." Lui-même a fait cette erreur en essayant de copier l’équipe référence en matière de profondeur stratégique, Astralis : "J’étais un lead qui avait tendance à s’inspirer des équipes comme Astralis, mais on n’a pas le même temps de travail qu’eux, [d’autant qu’]avoir un jeu plus simple te permet d’être plus efficace à des niveaux inférieurs."

La simplicité n’empêche pas de se construire, dès le début, une vraie personnalité qui vous démarquera de vos adversaires. Ainsi, wasiNk revendique haut et fort son amour du jeu dynamique et agressif : "En tant que leader in-game, il faut avoir une identité de jeu. Je veux que quand on parle de moi, on dise que j’ai un style bien défini, en l’occurrence très agressif."


wasiNk, un leader pas fan de l'anti-strat'

Pourtant, même avec une idée claire, le passage par les fondamentaux et la construction d’automatismes reste absolument nécessaire : "Au début, je pensais qu’on pouvait laisser beaucoup de liberté en contrôle de carte en terroriste, qu’il fallait faire confiance aux joueurs. En réalité, il faut trouver un juste milieu et tout travailler. CS a un côté robotique qu’il faut accepter" explique wasiNk. Rapidement, il a compris l’intérêt de répéter des routines de jeu pour améliorer son plan de jeu originel : "Travailler des phases de jeu spécifiques, ça va permettre aux joueurs de moins réfléchir et d’être plus concentrés sur leur viseur, sans se demander qui fait quoi. C’est indispensable pour bien marcher."

 

S’imposer sans brusquer : légitimité et pédagogie

Premier défi dans votre nouveau rôle, faire accepter votre vision de jeu à vos coéquipiers. Que vous soyez adepte d’un jeu très agressif et libre, ou d’une stratégie très structurée et plus posée, si vos joueurs ne vous suivent pas, vous n’irez nulle part. Comme le dit simplement Lambert, "toute personne qui commence à lead doit imposer son schéma de jeu, sa vision." Pour wallax, cette faculté à gagner la confiance de ses coéquipiers distingue les vrais leaders des autres : "Il faut être respecté par tes coéquipiers, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il faut arriver à s’imposer."

Alors, comment faire ? Deux mots reviennent sans cesse lorsqu’on aborde le sujet, pédagogie et communication. Lorsqu’il se remémore son passé, l'ex-capitaine de LDLC OL admet qu’il était beaucoup trop brusque avec ses équipiers : "J’ai été très dur avec certains joueurs à mes débuts, je pensais que leader voulait dire fermeté. J’aurais dû être plus pédagogue." Pour wasiNk, cette faculté à communiquer posément sa volonté et son plan de jeu représente l’aspect clé de son travail : "Le plus important pour un leader, c’est la communication, pour bien exposer ce qui est mis en place et les objectifs. Il faut vraiment être pédagogue."

Cette capacité à garder son calme, à répéter les choses, fait aussi partie des attributs indispensables du bon leader selon wallax : "Il faut être très patient et pédagogue, ne pas s’énerver." Toute la finesse du processus réside dans la capacité à imposer ses idées sans en avoir l’air. La stratégie de Lambert, c’est de montrer que sa vision est la bonne : "J’essaye d’expliquer plutôt que d’imposer, parce que si tu essayes d’imposer, si une personne ne veut pas faire, elle ne fera pas. Il faut essayer de démontrer au joueur que ta façon de voir le jeu est meilleure pour l’équipe."


wallax rêvait de copier Astralis, mais les ressources n'étaient pas les mêmes

Pour être efficace, le leader doit aussi rester, autant que possible, maître de ses émotions. Cette conduite personnelle, qui vient s’ajouter au management de l’équipe, constitue, encore aujourd’hui, un défi majeur pour wasiNk : "Le plus difficile, ça a été la gestion des émotions. Quand ça ne se passe pas comme prévu, ça crée une sorte de frustration qu’il faut savoir gérer. Améliorer ça, c’est mon combat quotidien."

Au moins autant que l’aspect stratégique, c’est à vous que reviendra la charge de garder les troupes motivées, positives, y compris lorsque vous prendrez des roustes contre des Russes qui vous courent dessus : "En tant que lead, tu n’as jamais le droit de baisser les bras", insiste Lambert. "Quand ton équipe n’a plus le moral, il faut que le lead ne lâche jamais, c’est le pilier de l’équipe. Il ne doit jamais se permettre de souffler, de lâcher, sinon il n’y a plus d’équipe. Pendant le match, même quand ça se passe très mal, il ne doit jamais décrocher ou critiquer, ça se fait après le match."

Ces impératifs renvoient à la double casquette du leader in-game. Tout à la fois tacticien et capitaine moral, il endosse deux rôles extrêmement complexes qui peuvent difficilement être séparés. Alors que wallax aurait du mal à imaginer "un bon leader qui ne soit pas un bon capitaine", wasiNk estime carrément les deux rôles inséparables : "Un bon lead doit être un bon capitaine. Il est nécessaire d’être crédible auprès de tes joueurs, d’être respecté humainement. Si t’as pas ce côté, tu perds des joueurs à un moment donné, même si t’es un génie tactique."

 

De l’ingratitude du rôle de leader

Disons-le d’emblée : le rôle de leader est probablement le moins valorisé de tous au sein d'une équipe. Non seulement vous devez penser pour cinq et ne jamais baisser les bras, mais les lauriers seront rarement pour vous. Même au plus haut niveau, on compte sur les doigts d’une main les leaders qui sont de véritables stars reconnues pour leur apport.

Lambert ne dit pas autre chose lorsqu’il explique que "la plus grande qualité [d’un leader], c’est de savoir se mettre en retrait pour mettre ses joueurs en avant." Dans le même esprit, wallax pouvait se sacrifier en tant que joueur pour le bien de l’équipe : "J’ai eu tendance à prendre moi-même les rôles ingrats si j’estimais que ça me permettait de lead correctement."

Vos talentueux équipiers seront même les premiers encensés lorsque tout ira bien, alors que tout le monde vous tombera dessus quand les résultats faibliront. Une situation qui peut être difficile à appréhender d’après wallax : "Le plus dur, ça a été de gérer la pression. Quand tu dois gérer beaucoup de monde, t’as l’impression que tout est de ta faute quand ça ne se passe pas bien."

Cette faculté à encaisser la critique tout en continuant de travailler fait partie des prérequis pour tout aspirant capitaine selon Lambert : "Un capitaine, c’est la personne capable d’admettre quand il est en faute. Il est souvent blâmé en temps de défaite et rarement acclamé dans la victoire. C’est le joueur qui n’a pas besoin de reconnaissance. Pour être leader, il faut avoir bon dos."


Le bon dos de Lambert

Et si tout cela ne vous suffit pas, sachez que vous devrez effectuer un travail de l’ombre, en plus des heures d’entraînement et de match : visionnage de démos, recherche sur l’adversaire, réflexion sur de nouvelles tactiques, les tâches ne manquent pas et étirent souvent les journées du leader de plusieurs heures.

Même lors des semaines où il ne joue pas de match officiel, Lambert estime qu’il travaille environ 10 à 15 heures de plus que ses équipiers. Pendant un tournoi, il va commencer sa journée à 10h pour un match prévu à 16h. En l’absence de staff pour vous soutenir, la préparation de certains matchs peut même durer jusqu’à 8 ou 10 heures, comme le raconte wallax lorsqu’il anticipait une rencontre  à venir face à Space Soldiers pour les playoffs de l’ESEA MDL saison 29.

Un vrai travail d’orfèvre qui, pour wasiNk, ne représente pas une contrainte. Autoproclamé "drogué de CS", il mange CS, il dort CS, il vit CS : "Quand je vais me coucher, je continue à réfléchir au jeu, à des smokes, des stratégies. Dès que je me lève, je passe mon temps à regarder des démos. Pareil après les entraînements, je suis tellement passionné que pendant toute la journée, je ne vais faire que du CS."

 

Gérer ses meilleurs joueurs

Dans votre équipe, il y a ce joueur spécial. Il était niveau 10 sur FACEIT avant tous les autres et, soyons honnêtes, il vous a un peu porté jusqu’à ce fameux cercle tout rouge. Capable d’ouvrir des sites de bombe facilement, de clutcher régulièrement, il est de loin votre meilleur élément. Au point d’en faire votre joueur star ? Pas si évident selon wasiNk : "Pour moi, il y a des joueurs hors du commun, comme ZywOo et s1mple. Mais hors de ça, j’ai du mal avec les termes de starplayer, de pépites. CS, c’est un jeu d’équipe." Il continue : "On oublie souvent que derrière les kills, il y a un travail collectif de support. Chacun à son rôle et ses responsabilités, mais tu ne peux pas être starplayer. Tu peux un peu faire tourner ton jeu autour de ton sniper, mais à part si t’as ZywOo dans ton équipe, t’as pas de starplayer."

Une opinion radicale qui tranche avec nos deux autres invités, qui ont eu la chance d'évoluer avec certains des joueurs les plus talentueux de la scène française. Lorsque wallax leadait ZywOo, il cherchait d’abord à l’accompagner, conscient d’être face à un talent unique : "J’essaye avant tout de le mettre en confiance, de le mettre à l’aise, dans des rôles qui lui conviennent et qui nous semblent adaptés à son style de jeu. On l’a ensuite aidé dans son positionnement, dans ses stuffs, dans sa communication, pour pouvoir mettre un filet de sécurité autour de lui. Des choses toutes simples pour lui permettre d’être à son plein potentiel, et pas enfermé dans des stratégies qui ne lui ressemblent pas." Il garde néanmoins à l’esprit que l’actuel sniper de Vitality était un cas unique, et qu’il a dû davantage s’employer lorsqu’il a par exemple joué avec misutaaa : "Ça n’a rien à voir, il fallait beaucoup plus le guider, ce qui est normal en fait."


Ils sont peu à pouvoir se vanter d'avoir diriger ZywOo

Chez LDLC OL, Lambert a aussi connu son lot de joueurs immensément talentueux : hAdji, SIXER ou encore bodyy, sans oublier JaCkz lors de son passage chez EnVyUs Academy. Son principal objectif avec eux ? "Les mettre dans des situations de confort", les convaincre qu’un "starplayer ne peut pas jouer individuellement aujourd’hui" et leur faire comprendre "sans les brusquer, que leurs idées ne sont pas toujours les plus adaptées à l’équipe".

 

Bien préparer ses matchs

Après plusieurs semaines d’entraînement, votre équipe prend forme. Les automatismes apparaissent, la communication progresse et les progrès sont visibles. Vous n’êtes pas encore Vitality, mais vous vous sentez prêts pour cette première saison en ESEA Open. Reste alors à préparer vos matchs pour mettre votre équipe dans les meilleures conditions.

Chez LDLC OL, la routine était toujours la même : "Le premier niveau de préparation, c’est les vétos, connaitre les maps fortes des adversaires. La veille ou deux jours avant un match, on va choisir notre pick. Et on va s’entraîner en fonction, regarder l’adversaire sur cette carte, comment il joue et comment il pourrait réagir à nos plans de jeu", détaille Lambert. Cette préparation de base lui permet d’établir une stratégie claire, qu’il va pouvoir répéter lors des derniers entraînements : "Avant de commencer un match, je sais déjà comment je vais call les premiers rounds, le premier pistol, le premier round armé, etc. Je répète ces plans de jeu à l’entraînement pour habituer mes joueurs à la dynamique."

Une question se pose alors si vous avez à disposition les démos des anciens matchs de vos adversaires : doit-on les antistrat’, c’est-à-dire regarder comment ils jouent et essayer de les contrer ? Pour wallax, plutôt que d’antistrat’, il faut être capable de s’adapter grâce à l’observation en amont : "Pour se préparer, on avait notre jeu à nous, nos stratégies, et en fonction du style de jeu de l’équipe adverse, de leurs tendances, on peut adapter nos spécifiques et créer un plan pour les perturber." Ainsi, si vous remarquez que vos futurs adversaires aiment prendre la banane sur Inferno de façon agressive en début de manche, vous pourrez décider de jouer à trois, voire quatre antiterroristes sur cette zone dans les premières secondes pour les déstabiliser.

Néanmoins, attention à ne pas se perdre dans l’antistrat’, surtout si vous n’avez pas de coach ou d’analyste pour vous aider avec ce travail. Pour wasiNk, ce n’est clairement pas la priorité : "Moi, je ne suis pas fan d’antistrat’. On n’a jamais eu le staff pour faire ce travail-là. C’est déjà assez difficile de faire un jeu carré pour nous." Il dit même n’avoir eu que des mauvaises expériences avec l’antistrat’, pour une raison assez simple : "Le problème de l’antistrat', c’est que tes joueurs vont trop se focaliser sur l’adversaire au lieu d’être concentrés sur leur jeu."


wasiNk dans ses oeuvres

Plus que deux heures avant le match, vous avez votre petit carnet de stratégies, vous avez trouvé quelques tendances lourdes dans le jeu adverse, c’est le moment de se mettre dans l’ambiance. Là encore, c’est au capitaine de trouver le moyen d’établir le meilleur état d’esprit possible pour aborder la compétition. A priori simple, cet aspect peut s’avérer incroyablement complexe lorsque la psychologie de l’équipe est particulièrement sensible.

Ainsi, Lambert s’est longtemps retrouvé démuni face à des coéquipiers dont l’humeur et le mental changeaient grandement au sein d’un même match : "On avait une équipe où l’ambiance variait très fortement en fonction des résultats. Certains joueurs devenaient très amorphes pour une multitude de raisons, dans le jeu ou en dehors. C’est la première fois que j’avais une équipe aussi dure à gérer mentalement (ndlr : avec la line-up LDLC Lambert, SIXER, hAdji, bodyy, afro)."

Il explique quelles solutions il a tenté de mettre en place pour remédier à ce problème : "On a essayé de trouver des petits trucs pour mettre une bonne ambiance. On faisait de l’aim_usp avant les matchs, on s’amusait et derrière on faisait de bons matchs. On a aussi essayé de faire des pracs avant les officiels, ou des pauses, pour trouver un équilibre qui convienne aux joueurs. À la fin, on faisait une pause, 30 minutes de deathmatch et une grande discussion où on se rappelait tous les points importants du match à venir, ça marchait plutôt bien."

Bien au-delà de la simple compréhension du jeu, les compétences d’un bon leader sont multiples : abnégation, sens du sacrifice, capacité de travail ou encore gestion de la psychologie ne sont que quelques-uns des défis qui se mettront en travers de votre route. C’est à ce prix-là que vous pourrez espérer atteindre vos objectifs, car à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Et la gloire d’atteindre les playoffs de l’ESEA Open, ça n’a pas de prix.

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