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Blog de la rédac : Vivre de sa passion ?

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Etre payé pour vivre de sa passion, c’est un rêve pour beaucoup. Mais quand le niveau et les enjeux augmentent, quand il ne suffit plus d’une poignée d’heures par soir pour être le meilleur, quand l’heure de devoir choisir entre carrière "virtuelle" et orientation plus traditionnelle approche, la décision de devenir joueur professionnel est bien plus compliquée qu’il n’y parait.

D’autant plus que ce terme a été complètement galvaudé dans le milieu de l’esport, utilisé à tort et à travers dès que des joueurs ont la chance de toucher plus ou moins régulièrement une rémunération pour jouer. Si trouver une définition exacte et générale de joueur professionnel est compliquée, on peut se baser pour commencer sur la définition disponible dans la Charte du football professionnel (article 500). C’est très court, mais très instructif :

Un joueur devient professionnel en faisant du football sa profession.

Vous allez me dire qu’on tourne un peu en rond. Que nenni ! Petit rappel de la définition de profession en français :

Activité rémunérée et régulière, exercée pour gagner sa vie.

Si on y retrouve bien évidemment la notion de rémunération, on y ajoute également une notion de régularité et une finalité : "gagner sa vie".

Ne pas penser qu'à la partie visible ...

Si ces deux composantes peuvent paraitre anecdotiques, ça change en réalité beaucoup de choses. Gagner sa vie implique donc un montant minimal, suffisamment élevé pour permettre de satisfaire au moins ses besoins élémentaires, se nourrir, se payer un logement ou se soigner. En France, on peut considérer donc qu’en dessous d’un SMIC on ne pourra pas vraiment se qualifier de joueur "pro". Notez que ça ne vous empêche pas d’avoir une attitude, une approche de votre activité qui soit la plus professionnelle possible.

Bref, il faut un certain montant et si possible plus que le minimum, on ne souhaite à personne de commencer une "carrière" dans un domaine aussi incertain pour y gagner un SMIC. Rien qu'à l'aune de ce seul critère, uniquement une poignée d'équipes sur CS peuvent ainsi être dites professionnelles.

En outre, l’aspect régularité est important : vous pouvez par exemple gagner un gros tournoi (MTT) au poker et remporter une somme d’argent conséquente en ne jouant que très occasionnellement. Ça ne fera pas de vous un joueur de poker professionnel pour autant. Très compliqué dans un milieu comme le sport électronique, a fortiori sur une scène "secondaire" comme CS ! Et ce pour plusieurs raisons :

- Primo la discipline étant encore jeune, personne n’a le recul suffisant pour savoir combien de temps une "carrière" de progamer peut durer. On commence tout juste à voir avec certains joueurs Starcraft (1 puis 2) ou Counter-Strike (1.6, Source et GO) qu’il est possible de "survivre" à un titre et de faire une transition avec succès, si on s’en donne les moyens (le meilleur exemple restant les joueurs 1.6 de NiP)

- Deuxio la faible durée d’existence des compétitions et la grande variabilité des cashprizes. Si la Dreamhack Winter et ses 250 000 $ fait rêver, si c’est un unique "one shot", il est compliqué de tout plaquer pour se consacrer à 100% au jeu, d'autant plus au vu de la domination de NiP depuis un an (et donc le risque de ne jouer au final "que" pour la deuxième place). Et même sur des jeux plus mainstream, comme LoL ou SC2, l'incertitude reste grande avec la reprise en main des compétitions par l'éditeur. On a, au mieux, une visibilité sur environ un an.

- Tertio le manque de reconversion possible. Toute personne exerçant une activité professionnelle se pose un jour ou l’autre la question de son (éventuelle) évolution, que ce soit simplement en terme de  rémunération ou de changement d’activité. Or avec un métier "classique", vous avez de bonnes chances de connaitre déjà quelles sont vos perspectives d’évolutions salariales, vos possibilités de reconversion ... etc. Dans le sport électronique, s’il advient que passé un certain âge il est impossible de continuer à être au top niveau, quid de la suite ? Si certains comme HeatoN sont parvenus à s’en sortir en se faisant l’icone ou le porte parole de marques, il n’y a pas la place pour les dizaines de joueurs évoluant à haut niveau...


HeatoN a trouvé sa voie

Le fait de vivre de son activité (et pas simplement de recevoir de l’argent de poche pendant qu’on dort chez papa/maman/la copine), pose aussi un certain nombre d’autres questions : quid d’un joueur se cassant le poignet par exemple ? Impossible de tenir une souris et donc de jouer pendant plusieurs mois, comment payer le loyer ? Est-ce qu'après plusieurs mois sans jouer le joueur n'aura pas perdu une partie de son skill ? Dans le sport "réel", il y a tout un mécanisme d’assurances pour gérer ce genre de situation par exemple. Quid du type de contrat et du statut ? Le statut de joueur profesionnel en France est également très encadré et nécessite d'avoir une fédération sportive... Inexistante pour le moment (et très compliquée à mettre en place). Le chomage, la retraite, le droit à l'image ?

Dans le sport "physique", au delà de la dizaine de sports mainstream brassant suffisamment d'argent pour entretenir un certain nombre de  joueurs professionnels (foot, rugby, basket, handball, cyclisme...), la plupart des sportifs de haut niveau ont une activité professionnelle à côté, souvent liée/aménagée pour leur permettre de s'entrainer. Le ministère de la Défense accueille ainsi dans des unités militaires près de 180 sportifs de haut niveau, dans des disciplines très variées (souvent olympiques) : voile, ski, natation, tir, parachutisme... Mais pour la plupart de ces sportifs, on est plus dans une pratique semi-professionnelle (sauf éventuellement juste avant une grosse compétition). Tony Estanguet, multiple champion olympique de kayak ne s'entraine ainsi au final "que" une vingtaine d'heures par semaine en moyenne. Comparé au temps d'entrainement de certaines équipes CS (même non-pro), c'est bien plus faible.

J’ai bien conscience que dans le sport électronique d’aujourd’hui toutes ces questions paraissent bien lointaines, en mode "non mais le foot c’est pas comparable". Mais prenez du recul quelques minutes : au delà des paillettes, des quelques exemples starifiés, montrés jusqu’à plus soif que sont les Fatality, HeatoN, Elky ou Stephano, quelle est la réalité pour les centaines d’autres très bon joueurs ? Notez d'ailleurs que parmi ces exemples, aucun n'a réellement "fait carrière" en tant que "joueur professionnel" de jeux-vidéo, ils se sont tous réorientés après quelques années.

Actuellement, ce serait un "boulot" plutôt mal payé, déconsidéré par une bonne partie de la société et qui peut s’écrouler du jour au lendemain pour des dizaines de raisons différentes. Alors certes, si vous avez le skill, vous pouvez prendre le pari que la DHW n’est que le premier d’une longue série de tournois a plusieurs centaines de milliers d’euros… Mais il faut avoir conscience que c’est un pari. Etes-vous toujours aussi sûr de vouloir le relever ? Pour les quelques joueurs faisant ce choix en connaissance de cause, c'est une décision qui est loin d'être si évidente... et qui mérite un certain respect.

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