Brèves

WebTV

Actualité de la scène

Compétitions



krL, entretien avec une grande gueule

5180 2
Deux ans et demi après la parution du magazine VaKarM, fin 2021, nous avons décidé de mettre en ligne les principaux articles le composant, histoire d'en faire profiter ceux qui ne l'avaient pas commandé à l'époque. Ne vous étonnez donc pas si ces articles vous disent quelque chose, il est possible que vous les ayez déjà lus sur papier !

Interview réalisée en mars 2021 par MrHusse

Il y a plus de dix ans, krL découvrait et lançait une génération de joueurs qui allait écrire les plus belles pages de l’histoire du CS français : RpK, shox, NBK, apEX ou encore Happy, tous étaient sur les radars du grand rival d’Ex6TenZ. En 2021, il a décidé d’enfiler à nouveau ses habits de révélateur de talents avec un projet d’académie qui a réveillé la scène tricolore, GenOne. Nous l'avons approfondi avec lui, quelques mois après les débuts. Les pseudos et l’environnement ont changé ; le franc-parler de krL, lui, n’a pas bougé.

En termes de détection, on a vu que tu avais décidé de partir de zéro, avec des joueurs parfaitement inconnus recrutés par Twitter. Lorsque tu fais les tests de recrutement, qu’est-ce que tu cherches en priorité ?

Il y a plein de choses. Le fait de vouloir prendre des joueurs inconnus fait que tu ne peux pas trop en demander aux candidats. Tu ne peux pas exiger qu’ils aient une vision de jeu, qu’ils connaissent tous les stuffs, qu’ils fassent des calls, qu’ils comprennent tout ce qui se passe sur la carte. Sinon, autant recruter des joueurs déjà bien avancés et, donc, un peu connus.

Donc la première chose que j’ai dite aux joueurs testés, c’était de parler le plus possible, et moi j’interviendrai de temps en temps pour faire des calls, pour rediriger. Je voulais voir les gens les plus à l’aise, notamment par rapport au fait que tout ça était streamé et que je voulais des joueurs qui n’étaient pas trop recroquevillés sur eux-mêmes. Je ne dis pas que je voulais des gens particulièrement extravagants, mais tu sens la différence entre des mecs un peu timides et des mecs qui sont simplement réservés et qui ne vont pas beaucoup parler. T’as des joueurs comme ça, un misutaaa, un RpK, tu les mets dans la même chambre, tu sais que ça part pas en débat géopolitique.

Pour moi, faire une équipe, c’est trouver un équilibre. Je voulais des profils comportementaux différents pour arriver à cette balance. Donc ce que je voulais, c’était deux joueurs qui parlent beaucoup, un qui parle un peu et deux qui, s’ils ne parlent pas trop, ce n’est pas bien grave.

Après, évidemment, le premier truc que tu regardes sur CS, c’est si ça met des headshots, il faut être honnête. Si tu veux former des mecs, il faut en avoir au moins trois, voire quatre, et au top c’est cinq, qui sont capables de faire la différence individuellement. Donc j’ai regardé leurs mécaniques, comment ils se déplaçaient, leur crosshair placement, leur technique de spray, comment ils rentrent sur un site. Quand j’étais en FACEIT avec eux, c’était un peu compliqué de tout regarder, mais tu vois vite quand t’as affaire à un animal ou quand t’es avec un joueur qui sait à peu près ce qu’il fait.

Il y avait aussi le sujet de la communication, qui est toujours compliqué. Aujourd’hui, à part les très bons joueurs en France, je pense qu’il y a très peu de monde qui a une bonne communication sur CS. Je voulais au moins des joueurs capables de parler en tirant. J’ai testé des joueurs qui faisaient des -2 et tu n’avais aucune information. Le mec il disait "deux morts banane" et derrière t’étais là "ouais et ensuite ?", tu ne savais pas.


La line-up originale de GenOne : Saax (deuxième en partant de la droite en haut),
Neityu, Graviti, Brooxsy, ElectuS (en bas, de gauche à droite) (photo : Sopriam)

J’ai eu des joueurs qui, individuellement, me paraissaient aussi bons que ceux que j’ai pris, mais je les ai juste pas sentis. Je voulais aussi prendre des mecs que j’allais bien aimer. Je savais que j’allais passer du temps avec eux, que j’allais les coacher, les avoir sur le stream, donc je voulais des profils avec qui j’allais m’entendre, avec qui je n’allais pas avoir de conflits. Il ne fallait pas de mecs trop teigneux, il faut que je puisse un peu les "manipuler à ma sauce" et pas être en confrontation en permanence. Il y a eu des joueurs qui sont venus et qui n’en faisaient qu’à leur tête. Je comprenais qu’ils venaient faire leur game sur le stream, montrer qu’ils étaient chauds, et que ça suffirait.

Moi je voulais plus que ça, notamment parce que je suis un peu le centre de l’équipe même si je ne suis pas joueur : tout passe par moi, même si j’essaye de leur donner de plus en plus d’autonomie. Mais au début, je savais que c’était à moi de faire le lien entre tous les joueurs vu qu’ils ne se connaissaient pas. Pour faire ce lien, il fallait que je puisse parler avec tout le monde, donc j’ai vraiment ciblé des profils dans le jeu mais aussi psychologiques, pour trouver cet équilibre.

Je pense que ça a été le plus dur, parce que j’ai vu passer plein de mecs que j’aurais pu prendre. Il y en a eu facilement cinq ou six autres qui avaient leur place dans l’équipe. Mais j’ai préféré des profils comme Graviti, qui va beaucoup parler sans pour autant lead, qui a un gros caractère, capable de mettre une bonne ambiance mais aussi de s’énerver quand ça tourne mal. Avoir un joueur comme ça, c’est important dans une équipe à côté d’un leader.

Et j’en avais deux ou trois autres que j'ai testés et qui avaient ce profil mais je ne les ai pas pris, parce que j’avais déjà Graviti. Par exemple, AZIDOT était dans mes deux derniers choix avec Ryan (Neityu). Moi, je voulais absolument un joueur très jeune, de moins de seize ans, je voulais vraiment un "pyj". Si tu commences à cet âge-là, t’auras beaucoup plus de chances que les autres de percer.

Quand tu prends un mec si jeune à former, il va prendre énormément d’avance sur les autres joueurs de son âge. Vu le niveau qu’a déjà Ryan, s’il travaille, qu’il est bien formé et qu’il se la donne, aucun doute que dans cinq ans, ce mec est chez Vitality. Je ne vais pas dire que je voulais un profil comme ça pour être sûr que le projet réussisse, mais pour donner une chance à un mec qui a du potentiel de s’épanouir sur CS.

À la base, j’avais mis mon critère d’âge à vingt ans mais en fait, quand à vingt ans t’es nulle part dans le subtop français, c’est compliqué. T’arrives à des âges où tu vas devoir aller bosser, et il y a beaucoup de choses à rattraper sur le jeu.

Pour revenir au profil psychologique, je voulais des mecs qui ne parlaient pas trop. Un AZIDOT, il a une bonne communication, une bonne vision de jeu, il n’était pas moins fort que les mecs que j’ai pris, mais comme j‘avais déjà Graviti et Saax, je me suis dit qu’AZIDOT, c’était peut-être trop. Alors qu’à ce moment-là, en termes de niveau de jeu, il était probablement meilleur que Ryan. Il fallait faire ce genre de choix pour que l’équipe ait du sens, pour pas faire une LDLC. Moi par exemple, je n’aurais jamais formé cette composition, je n’aurais jamais choisi cette équipe. Je trouve qu’elle n’a aucun sens (ndlr : le cinq LDLC composé de Lambert, hAdji, SIXER, Maka et Keoz).

Je voulais que l’équipe ait du sens pour montrer que c’était possible de partir avec une équipe qui ne se connaît pas, cinq mecs qui veulent tryhard le jeu, et continuer ensemble si on a choisi les profils compatibles. Montrer qu’une équipe peut durer six mois, voire un an. L’objectif, c’est de construire sur le long terme ensemble. Parce que, bien souvent, tu penses que tu pourrais avoir un meilleur joueur dans ton équipe, mais le simple fait de connaître les joueurs déjà présents et d’avoir de l’expérience ensemble, c’est énorme. Tu progresses beaucoup plus en jouant avec des joueurs que tu connais bien. Déjà parce que tu peux tout te dire, tu passes l’étape de prendre sur soi, de garder en dedans. Surtout, tu connais les faiblesses de tes équipiers et tu peux les aider.

Par exemple, maintenant, en B sur Vertigo, Broox peut dire à ElectuS "frérot, quand on a pris la pente A, joue reculé en B" avant les matchs, parce que c’est une erreur qu’il fait tout le temps et il le sait. Maintenant, pendant les matchs, dès qu’on a la pente A, Broox s’assure que Flo (ElectuS) est bien reculé. Tous ces petits détails, tu les apprends avec le temps, c’est comme ça que tu crées une synergie entre les joueurs.

Est-ce que tu vois des différences entre un joueur à potentiel que personne ne connaît sur Source, comme quand tu sors un RpK, et un joueur à potentiel que personne ne connaît sur GO ? flex0r disait notamment que les nouveaux joueurs avaient une bien meilleure connaissance du jeu qu’à l’époque, est-ce que t’as remarqué ça ?

Clairement. Pendant la détection, quand tu demandais un stuff, les trois quarts des mecs le connaissaient. Sur Train, je demande deux ou trois fois fois la smoke back green, il y avait toujours au moins deux joueurs qui se proposaient pour la mettre. Les mecs ont des connaissances de jeu parce que c’est facile aujourd’hui. Tu ne peux plus dire "ça, je ne sais pas faire". Si tu ne sais pas faire, c’est parce que tu ne veux pas savoir le faire. Si je tape sur YouTube "flash Inferno", il y a 500 vidéos. En plus, toutes les games de pros sont retransmises en live, donc tu vois les meilleurs faire les choses. Dans l’heure d’après, t’as la démo et tu peux aller voir un setup que t’as vu en direct.

À notre époque, tu te prenais une smoke, deux flashs, t’attendais trois mois pour savoir d’où ça venait. Fallait que les mecs de la lan soient motivés à faire le FTP et à mettre les démos dessus, sinon tu ne le savais jamais. Tu disais "j’ai vu une smoke arriver sur la grande échelle à travers les fenêtres sur Nuke", tu passais quatre jours à la chercher la smoke, j’exagère pas. Je me rappelle, Ex6TenZ nous avait fait une strat’ inté sur Nuke, et il y avait des flashs qui explosaient au-dessus du cabanon ! Comment c’est possible ? Elles tapent quoi les flashs, là ? On avait cherché la flash pendant trois heures avec RegnaM.


Ex6TenZ - krL, souvenirs d'une rivalité légendaire

Ça aujourd’hui, ça n’existe plus, tu ne cherches plus une flash. C’est très rare qu’un random aille sur un serveur inventer un stuff. Tous les stuffs inventés, c’est les pros qui font ça toute la journée, ou à la limite un mec à la NadeKing qui va te montrer une nouvelle grenade qu’il a cherchée pendant trois jours pour faire une vidéo.

À l’époque, on mettait un mur de smokes, les adversaires passaient trois mois à essayer de le refaire. Là, il y a un nouveau mur de smokes, le lendemain tu te le prends en practice. Forcément les joueurs arrivent avec beaucoup plus de connaissances CS, mais surtout en stuff.

Dans les autres aspects, tous les joueurs ont des lacunes incroyables : comprendre le jeu, les rotations, l’expérience, tout ce que tu ne peux pas copier/coller. Pour le reste, t’es obligé de passer du temps en équipe, à l’entraînement, à regarder des démos comme il faut. Pour moi, les jeunes joueurs actuels ne comprennent pas du tout le jeu.

Justement, par quoi tu commences en tant que formateur pour essayer de faire comprendre le jeu à des joueurs qui n’ont aucune expérience de CS en équipe ?

J’essaye de les mettre en situation, de leur poser des questions pour améliorer leur QI CS. Je leur présente une situation type, avec une réaction qu’ils voient sur le jeu, et je leur demande comment ils interprètent ça. Très souvent, j’ai aucune réponse. Donc je retourne la situation : t’es CT, il se passe ça, à quoi tu t’attends. Généralement, ils ont des idées. Donc ensuite, on se remet à la place des terros et on réfléchit à ce qui peut faire chier le CT lorsqu’il a le type d’informations qu’on va lui donner.

Il faut leur faire comprendre des mécanismes de réflexion du jeu. Quand il se passe une chose, tu sais qu’il peut se passer X, Y ou Z. Pour chaque événement, il faut créer des réactions automatiques, basées sur une réflexion CS. L’autre fois, je leur demandais comment abuser d’une rotation, comment faire bouger un pivot, qui tu veux faire bouger, comment tu vas l’attraper. Quand on pose la question comme ça, c’est difficile. Mais ensuite, avec une mise en situation, le joueur a déjà joué pivot A sur D2, et il s’est déjà retrouvé spawn CT. Et là on peut se demander : qu’est-ce qui te fait passer BP A ? Qu’est-ce qui te fait retourner façade B ? Qu’est-ce qui te fait prendre un pick mid ? Qu’est-ce qui te fait jouer proche des portes ?

En gros, on va utiliser nos propres réactions pour comprendre le comportement des adversaires, en se mettant à leur place. C’est comme ça que tu gagnes un avantage sur un joueur, que tu gagnes un clutch. Très souvent, les joueurs vont le faire instinctivement, sans trop savoir pourquoi. Pour qu’ils progressent, il faut qu’ils comprennent ce pourquoi. Parce que naturellement, ils vont faire plein de choses intelligentes : ils ont un cerveau, ils ont déjà vécu des situations similaires plein de fois, etc. Moi, je veux qu’ils sachent pourquoi ils font ce qu’ils font. Avec ça, tu peux comprendre comment les joueurs se déplacent sur la carte et comment en abuser.

D’un point de vue méthode, comment tu mènes de front un apprentissage à la fois individuel et collectif, sachant qu’ils ont des emplois du temps en dehors du jeu et que toi aussi tu streames ?

Je n’ai pas accordé autant de temps que j’aurais aimé à l’académie, je pense que je leur ai transmis moins de 5 % de ce que je pourrais leur apprendre. C’est aussi pour ça que j’ai fait des streams où j’ai invité des gens : ça me permet de combiner le stream, l’animation et d'amener aux petits une réflexion sur CS.

Au début, en partant du néant avec une équipe, je leur ai donné des tâches. Broox devait travailler les pistols rounds, Alex (Saax) les rounds armés, Flo (ElectuS) devait ramener des exécutions toutes prêtes, etc. Je voulais qu’ils créent quelque chose de standardisé et prêt à l’usage sur le serveur, où tout le monde sait qui fait quoi. C’est ça le plus difficile au début dans une équipe : savoir ce que font tous tes coéquipiers, pourquoi ils font ça et où on va avec ça. C’est la base de CS, savoir mener un round, quelle zone aller chercher et dans quel but.

Donc à la base, je leur demandais de faire du copier/coller de démos et de vidéos CS, pas plus, pour moi c’était pas compliqué. En fait, même ça, pour des gens qui commencent CS, c’est dur. Ils ne savent pas comment regarder. Je me suis rendu compte qu’ils faisaient des trucs sans savoir pourquoi. Par exemple, si une équipe fait une prise vodka, c’est parce qu’ils ont fait un frag sur la zone, ils savent qu’il ne reste que deux joueurs, probablement un sur site et un bac, parce que le joueur qui tourne du B couvre la plaine. Donc si tu mets ta smoke à l’entrée du site et ta molotov fond bac, tu vas te taper avec un joueur isolé au niveau du balcon ou du blaze. Et là les petits comprennent qu’il y a une vraie réflexion, que ce qu’ils observent a été pensé, pas copié, et que c’est fort parce que c’est fait avec une intention. Même ça c’était très dur à assimiler au début, et ça l’est toujours.

L’autre point central, c’était d’avoir une communication en commun. Avoir des mots-clés, avoir les mêmes termes pour les positions, ça parait idiot mais c’est important. Sur Dust2, est-ce qu’on dit Gandalf ou on dit Carré ? Rien que ça, quand tu commences CS de zéro, c’est énorme à mettre en place, on se rend pas compte. Moi, j’ai quinze ans sur CS et j’avoue que je ne m’en rendais pas compte, c’est énormément de travail. Avoir des pistols travaillés, des exécutions propres et deux-trois stratégies bossées, sur un pool de quatre cartes, c’est beaucoup de boulot. Ça fait deux mois qu’on est en équipe (ndlr : à l’époque de l’interview, en mars 2021), on n'y est pas encore.

Est-ce que t’as fixé en amont un plan de progression à moyen/long terme pour chacun des joueurs et pour l’équipe, au-delà même des résultats ?

Déjà, moi, j’isole pas les résultats, parce que c’est la clé du travail. Notre objectif, c’est de se qualifier en ESEA Main. Au début de l’équipe, quand j’ai vu les profils individuels, je trouvais pas ça incroyable parce que je connais le niveau de l’Intermediate. Dans ma tête, avec quelques GR, quelques strats, quelques petits trucs, ça suffit. Ce soir, je faisais une petite review de démo de futurs adversaires qui sont en Intermediate. Si je choisis quatre potes qui jouent un peu à CS depuis cinq-six ans, ils prennent 16-4. Les mecs n’ont rien. En CT sur Inferno, ils n'ont qu’un setup : un appart, un vodka, un vodQ, tu te rends compte ? Une fois, sur 30 rounds, ils font un setup à deux dans l’appartement. Mais en fait, mes joueurs c’est pareil, ils ont très peu (rires).

T’ajoutes à ça la pression du stream, ils sont beaucoup suivis pour une équipe de ce niveau-là. J’ai mis bien deux ou trois semaines à me rendre compte qu’on partait de zéro en termes d’équipe. Je savais que je prenais des mecs qui n’avaient aucune expérience, mais j’ai surestimé la plateforme FACEIT. Même si je sais que l’elo ne veut rien dire, j’ai quand même ciblé des joueurs niveau 10, qui mettent des headshots, qui savent communiquer, mais c’est juste les rudiments.

Après, j’ai pris des mecs qui ont une marge de progression énorme. Un type comme Graviti, il a 2 000 heures de jeu je crois quand je le recrute. Je trouve que c’est déjà bien d’être niveau 10 FACEIT avec 2 000 heures de jeu. Mais on part quand même de très, très loin. Là, on est à une victoire de se qualifier en Main, donc ça c’était le premier objectif, il est en passe d’être atteint (ndlr : l’équipe est en effet passée en Main).


Spoiler : Graviti a désormais un peu plus que 2 000 heures de jeu

Au niveau individuel, c’est compliqué de fixer des objectifs au départ parce que tu connais pas très bien tes joueurs. Il a fallu que j’apprenne quelles étaient leurs lacunes, leurs points forts, etc. Je savais que leur point fort à tous, c’est que ça mettait des tartines, que Saax et Graviti réfléchissaient plus, mais que les trois autres c’étaient juste des machines.

Sur les points faibles, c’est compliqué en tant que coach de dire à un joueur "t’es nul partout" (rires). Tu peux pas leur dire "t’es éclaté partout, tu mets des headshots mais le reste c’est nul". En vrai, si je fais une analyse sans langue de bois, c’est le cas : compréhension du jeu très faible, analyse de ce qui se passe très faible, réactivité très faible. Dès que le QI CS entre en jeu, c’est très faible.

Ils se retrouvent dans des situations qu’ils ne connaissent pas encore en fait. Dès qu’ils jouent des mecs un peu expérimentés, ils se font péter la gueule parce qu’ils prennent des bons enchaînements de stuff, ils vivent des trucs qu’ils ont jamais vécus. Se prendre double molo sur un site, avec une smoke qui te bloque la vue et trois flashs dans ton nez, quand ça t’est jamais arrivé, tu comprends pas. Toi d’habitude, tu vois juste des mecs exploser sur deux flashs et une smoke éclatée sur FACEIT.

Il faut y aller petit à petit. Leur montrer par la vidéo nos absences de réactions face à des informations. Mais là encore, regarder une démo, ça s’apprend, ils ne savent pas où regarder. Quand tu pars de tout en bas, c’est un travail monstre. Des fois, je me dis que j’ai mis les pieds dans un truc vraiment difficile à accomplir. Au final, se qualifier en Main, ce serait vraiment génial pour les petits, alors qu’au début ça ne me paraissait pas si difficile. Ça montrerait la marge de progression du projet.

Déjà là, ils arrivent à surclasser des mecs qui jouent en équipe depuis plus longtemps, qui sont en Intermediate. Récemment, ils ont battu des joueurs Main, c’est cool. Même si, pour moi, tu me dis des mecs qui sont en Main, c’est des fishs. ESEA, je commence à respecter quand t’es en Advanced, là tu joues un peu à CS. En dessous, c’est totalement aléatoire, tout le monde bat tout le monde, à part peut-être cinq ou six équipes qui doivent sortir du lot. Mais en dessous t’as un pool de 50 équipes au même niveau, à qui il manque plein de choses. Dès que t’as une équipe un peu en place, tu roules sur la division.

Donc en fait, tous les joueurs à ce niveau-là, il faut qu’ils travaillent sur tout. Il faut qu’ils apprennent à regarder une démo, à comprendre une démo, puis le reproduire sur le serveur en comprenant pourquoi, faire au bon moment ce qui fonctionne. Au début, j’ai essayé de dire à mes joueurs de prendre des notes pour progresser plus vite, mais ils ont du mal à le faire. Moi, quand j’ai tryhard mes morts à CS, pendant mes entraînements, soit j’avais une feuille et un stylo à côté avec les 30 rounds et des mots-clés, soit je m’enregistrais et je re-regardais mon match. Et chaque round où j’ai pas fait de frag, où j’étais mort, je regardais et j’essayais de comprendre, voir ce que j’aurais pu faire de mieux.

C’est ça le but quand t’es à ce niveau-là, chercher à faire mieux, parce que de toute façon t’es à un niveau où tu fais mal, et si tu fais un peu bien, tu seras meilleur que les autres. Il faut constamment faire un peu mieux, dans tous les aspects. Par exemple, le frérot Ryan (Neityu), il rate quinze stuffs sur vingt, c’est incroyable. Dans toute situation, stress ou non, c’est manqué. Pourtant il le connaît le stuff, il va au bon endroit pour prendre le repère, sauf qu’au moment de jeter, il est un peu approximatif, il hésite entre deux marques et il se loupe. Ou alors on lui dit "3,2,1" parce que c’est le timing pour flash, mais c’est un peu précipité et il fait n’importe quoi, il jette et advienne que pourra. Les trois quarts du temps, c’est raté. Donc pour lui, faire mieux, c’est pas rater quinze stuffs sur vingt, c’est essayer de n’en rater que dix.

Pour un mec comme Saax, je l’ai entendu lead au début, il disait "ouais euh s’il vous plaît les mecs vous pouvez revenir long s’il vous plaît ?". Mais t’es leader in-game ou assistante sociale ? Faut bosser sur l’aspect patron, il n’y a pas de "s’il te plaît" quand tu fais un call, t’es là pour donner des ordres. Donc même sur ça il y a des progrès à faire, il y en a partout à ce niveau-là.

Par exemple, quand j’ai lancé La Coupe (ndlr : un tournoi créé par krL et réservé au subtop français), j’ai pu écouter le vocal d’équipes qui sont en ECN, avec les immersions. Je me suis rendu compte qu’à chaque fois, t’as un ou deux mecs maximum qui comprennent ce qui se passe. Les trois autres sont à la rue et ils écoutent. Je te prends l’exemple d’UBITEAM qui a gagné La Coupe : t’as ninis et Nono2k que j’ai trouvés très intelligents, qui comprenaient les situations dans lesquelles ils se retrouvaient. Mais les autres, j’ai vu des simples soldats, qui écoutent. Je pense que si je leur reparle d’un round après le match, ils ne savent même pas de quoi je parle. Ils sont tête dans l’écran et ils écoutent. Mais si tu veux être fort sur CS, il faut avoir cinq mecs qui comprennent ce qui se passe sur le serveur, capables de s’adapter, de faire un call, et donc il faut progresser dans tous les aspects du jeu.

Tu peux dire, sur des cas vraiment spécifiques comme Ryan et ses stuffs, "ok, bosse ça en spécifique avant de regarder une démo", mais tu peux pas prendre chaque joueur et faire un coaching individuel au niveau où ils sont, ils ont trop de standards à connaître encore. Le niveau est trop bas pour cibler un axe de progression précis, ils doivent tout apprendre. Et si tu leur dis qu’ils doivent apprendre 50 trucs différents, ils vont potentiellement mal le prendre, parce que ça revient à leur dire directement qu’ils sont nuls. Moi, j’ai pris des joueurs que j’ai estimés intelligents, où j’ai vu qu’ils comprenaient ce que je disais, donc ils ont conscience de leurs lacunes. Lorsqu’ils regardent des équipes plus fortes qu’eux, ils arrivent à relever la différence entre les deux. Mon rôle de coach, c’est de leur faire comprendre qu’ils ont tous les aspects à bosser.

Tu parles souvent de QI CS. C’est une idée qu’on retrouve aussi dans le foot, avec des formateurs qui essayent de développer le QI foot en mettant les joueurs à des positions différentes, pour qu’ils comprennent tout ce qui se passe sur le terrain. flex0r était aussi adepte de ce genre de choses, qu’est-ce que tu penses d’une telle idée ?

J’avais un peu initié ça sur CS:S, où je faisais lead tout le monde. Et on m’avait un peu ri au nez, en me disant "ça doit être marrant quand RpK lead". Mais RpK il a des bonnes idées aussi, sauf qu’il ne va pas les proposer naturellement. Quand tu l’obliges à lead, tu t’en rends compte.

L’idée générale est intéressante, le fait de comprendre ce que les autres joueurs vivent, parce que ça peut être difficile pour un leader. Mais avec du recul, je ne pense pas que ce soit très utile. Si tu fais des bons débriefs, où tu parles bien, tu regardes la démo ensemble, tu peux le comprendre. Au début, chacun de mes joueurs regardait la démo de son côté et on revenait ensemble pour en discuter. Dans mon idée, chacun allait arriver avec son point de vue pour progresser. Mais en fait, quand ils regardent une démo seuls, ils ne la comprennent pas, même quand c’est leur démo.

Donc maintenant, je leur fais regarder la démo à cinq, tous ensemble, comme ça ils peuvent en discuter entre eux. Ils peuvent débattre en direct des situations et se montrer mutuellement des choses qu’ils n’ont pas vues en jeu ou qu’ils n’auraient pas vues en débriefant seuls. Ça permet de créer un petit brainstorming autour d’une démo, où tout le monde donne son avis, et à cinq cerveaux tu travailles mieux que seul. Et depuis qu’on fait ça, on progresse beaucoup mieux parce qu’on a une vraie réflexion sur nos matchs.

C’est comme ça qu’on a compris que sur Vertigo, à chaque fois qu’on avait la pente A et qu’on perdait le round en B, c’est parce que Flo (ElectuS) jouait contact B. Tout le monde voit les erreurs de tout le monde, tout le monde se parle, tout le monde apprend ce qui est difficile, ce qui est faisable dans les différentes situations. C’est particulièrement important pour les calls d’Alex (Saax), ça lui permet d’avoir du recul sur ses calls ratés et de permettre aux autres joueurs d’avoir une voix pendant les matchs.

Récemment, on s’entraînait sur Vertigo, on s’est rendus compte qu’on perdait beaucoup de rounds en terroriste parce qu’on ne vérifiait pas les boosts. À chaque fois, c’était un mec différent à l’ouverture et il se faisait avoir par un boost. Maintenant, après avoir fait ces débriefings collectifs, des fois c’est même le joueur B qui dit "les gars en A, attention aux boosts !". Ils le savent, c’est rentré. Et c’est jamais le même joueur qui s’en rappelle, mais collectivement on a compris qu’on faisait cette erreur et tout le monde est vigilant. Donc on est sur un coaching très collectif avec GenOne, parce que je pense que tu progresses le plus en comprenant les erreurs de tes coéquipiers mais aussi ce qu’ils font bien.

Je prends une perspective collective parce que je n’ai pas le choix, notre équipe est tellement jeune et inexpérimentée que je ne peux pas les gérer un par un, sinon ça leur donne une montagne de boulot. En montant tous ensemble notre jeu d’équipe, chaque joueur est responsabilisé et aide les autres.

Ça aide aussi à donner du poids aux messages, aux conseils : quand c’est moi qui te dis que t’as fait une erreur, bon, tu l’entends et t’essayes de te le rappeler. Mais quand c’est Broox, Saax, ElectuS, il y a des gens avec qui ça passe mieux, chacun a sa façon de s’exprimer. Par exemple, Broox, il prend mieux un reproche quand c’est ElectuS que quand c’est Graviti. Il est plus réceptif avec ElectuS qui lui dit "ne joue pas comme ça, ça marche pas". Alors que quand c’est Graviti, il va pleurer et chouiner parce qu’il n’aime pas comment il lui parle.

Donc le fait de faire un coaching très collectif et participatif, ça permet de s’adapter aux sensibilités de chacun. Il n’y a pas qu’une personne qui met des patates à tout le monde en permanence, sinon il serait en guerre avec tout le monde, ce qui est difficile. Je le sais parce que j’étais un capitaine qui était en guerre avec mes joueurs, constamment. Je voulais toujours la perfection et je me suis épuisé mentalement, psychologiquement. Même mes joueurs, je les ai épuisés.

Parlons de Saax justement. Parmi les rôles à assumer pour un joueur sans expérience, celui de leader est probablement le plus complexe. Il me semble qu’il n’a jamais eu d’équipe et donc de leader au-dessus de lui, donc il ne rentre pas dans le schéma traditionnel des leaders qui sont d’anciens joueurs qui ont connu un autre leader. Comment on fait pour apprendre le lead à quelqu’un en partant de zéro ?

Alors pour préciser, Alex (Saax) a connu une équipe l’année dernière avec Graviti, donc il a quand même déjà eu un leader, il avait quelques connaissances. Mais de base, Alex, c’est quelqu’un qui essaye de pousser sa réflexion sur le jeu, donc il a un profil leader.


Saax, premier leader de GenOne

Pour reprendre ce que tu disais sur les leaders anciens joueurs, moi j’ai lead avant d’être leadé sur CS:S. Par contre, quand AsP me recrute, je me suis plié à son lead parce qu’il avait plus d’expérience que moi. Ce qui m’a poussé à vouloir revenir au lead, c’est qu’après un mois d’entraînement avec AsP, j’avais absorbé tout ce qu’il y avait à absorber. Un jour, je lui ai dit : "gros, ton lead il est éclaté, je peux mieux faire" (rires). Il m’avait appris des trucs bien sûr, mais j’étais arrivé au bout, et je me suis fait virer de l’équipe parce que je voulais lead à sa place.

Alex (Saax), c’est celui avec qui je parle le plus. Déjà, il a fallu que je lui montre comment parler à ses joueurs. Quand t’es leader, t’es capitaine, donc c’est toi qui doit dégager une sérénité et une confiance. Si tu commences à dire "s’il vous plaît les mecs revenez GA", tu vas avoir un Brooxsy qui va te répondre "ouais attends deux secondes, je mets mon stuff en B". Alors que non, c’est pas ça le call, il ne doit pas y avoir d’entre-deux. Donc il a fallu qu’il apprenne à s’exprimer comme un capitaine, parce qu’au début c’était plutôt capitaine de colonie, comme s’il parlait à des gosses de cinq à huit ans et que t’as quinze ans de plus, et que la simple différence d’âge suffit à asseoir ton autorité.

J’essaye de le guider plus que les autres, notamment lors des débriefings de démos. Mais c’est un travail constant. Ce matin par exemple, on faisait une review de démo en live, et à un moment je passe un round en répondant au tchat, et Graviti et Saax me demandent "mais qui fait l’erreur au final ?". C’est-à-dire que même en regardant la démo, ils n’arrivent pas encore à savoir à chaque fois qui a raison, qui a tort, sur une simple question de trade de frags.

Sur l’aspect plus mental et psychologique, tes joueurs se retrouvent quand même dans une situation très particulière : ils sont sur le stream, ils ont des apEX, Maniac, XTQZZZ qui les aident. Est-ce que tu penses que ça peut les amener à appréhender plus facilement la pression pour la suite de leur carrière ? Comment tu gères le fait qu’il y ait une vraie possibilité qu’ils se brûlent les ailes rapidement avec tant d’exposition ?

Je leur ai expliqué que les interventions extérieures, elles arrivaient parce que je connaissais ces gens-là et qu’ils n’étaient pas uniquement là pour eux. Quand apEX ou XTQZZZ viennent sur le stream, ils rendent aussi un service à la communauté, ils donnent un cours pour toute la scène française. Avec XTQZZZ, il y avait 2 000 viewers, tous les mecs du subtop vont regarder la VOD. Ça ne sert pas qu’à GenOne. Ils savent qu’ils ont énormément de chance, ils s’en rendent bien compte. Ca faisait d’ailleurs partie de mes critères de sélection, m’assurer qu’ils n’allaient pas exploser sous la pression ou se sentir trop beaux trop vite.

Déjà, Ryan (Neityu) et Flo (ElectuS), ce sont deux joueurs que j’estime très équilibrés, notamment du point de vue de la cellule familiale. Ils sont bien éduqués, tu sens que ce sont des jeunes avec des valeurs. J’ai besoin de gens comme ça, avec Graviti aussi même s’il est un peu plus teigneux, qui avaient des valeurs, qui étaient respectueux. Cet équilibre psychologique leur permet aussi de prendre les choses moins personnellement. Sans rentrer dans les détails intimes, Alex (Saax) prend peut-être un peu plus à coeur les critiques ou les compliments que je peux lui faire, il manque encore de confiance en lui.

Le seul que j’ai pris qui ne rentrait pas nécessairement dans cette idée d’équilibre psychologique, c’est Broox. J’ai estimé que je pouvais me permettre d’avoir un joueur comme ça dans mon équipe. Pour moi, c’est un cas spécial et je l’ai vite compris. Mais je ne voulais surtout pas passer à côté de son immense talent. En termes de talent brut, je pense que c’est celui qui m’a le plus choqué, il a probablement plus de potentiel que les autres.

Sans rentrer dans le détail, quand tu dis "cas spécial", il t’a rappelé des joueurs que t’as pu connaître dans ta carrière ?

Ouais, shox. Il a une confiance, c’est les montagnes russes. Un jour, c’est le meilleur joueur du monde, le lendemain, c’est une salope. shox, c’est exactement ça, et d’après ce que m’a dit Rémy (XTQZZZ), ça n’a pas changé. Il y a dix ans, c’était déjà ça, je passais mes briefings à lui répéter "t’es le meilleur, t’es le plus frais, t’es le plus stylé", pour qu’il se sente chaud. Moi, je le sais qu’il est capable d’être incroyable, mais si tu lui dis pas, il l’oublie. Ou alors il va mettre une one action et ça va repartir.

Pour moi, ça, c’est un conditionnement parental. C’est tout con mais les gens me disent "t’as un égo, t’es capitaine". C’est parce que ma mère m’a constamment répété, tous les jours de ma vie, que j’étais le plus beau, le meilleur, et que rien ne pouvait m’arrêter. Forcément tu finis par y croire, et dans la vie je ne me suis jamais dit que quelque chose pouvait m’arrêter, qu’il allait y avoir des barrières infranchissables. Je sais avec du recul que mes forces psychologiques, c’est grâce à ma mère. Elle m’a dit "tu peux, t’es capable, tu vas y arriver".

Après, je ne critique pas l’éducation des autres, mais tu te rends compte qu’il y a des joueurs qui ont ces barrières psychologiques parce qu’on leur a pas dit ce genre de choses.

Ton joueur le plus jeune, c’est Neityu (15 ans), tu pourrais presque être son père justement. En termes de communication, est-ce que tu sens qu’il y a un écart générationnel qui peut gêner ? Est-ce que t’as des techniques pour arriver à interagir facilement avec quelqu’un de bien plus jeune que toi, notamment hors de CS ?

Notre passion commune, c’est CS. Après, avec le stream, le cast, je passe pas mes soirées avec eux en practice. J’ai dû suivre deux ou trois soirées d’entraînement hors stream avec eux. De temps en temps, je viens écouter sur le TS pour leur mettre un peu la pression parce que quand je suis là, ils sont plus sérieux. Si j’entends que ça rigole, je les recadre directement.

Je parle pareil avec tout le monde, mais j’essaye d’être un peu plus protecteur avec Ryan (Neityu) justement, parce qu’il est le plus jeune. Pour te raconter une anecdote, au début de l’équipe, j’ai demandé des photos à tout le monde et je les ai envoyées dans le groupe, pour qu’ils apprennent à se connaître. À cause du Covid, Ryan n’avait pas pu passer chez le coiffeur depuis longtemps et il avait une touffe, ça lui faisait un peu une tête de gogol rigolo, ça montrait qu’il s’en foutait complètement de sa tête sur la photo qu’il avait envoyée. Moi je trouvais ça drôle, alors qu’Alex (Saax) s’était super appliqué par exemple. Ryan, il sortait vraiment du lit. Et du coup, il s’est fait un peu vanner sur ça.

Mais ce qui est fou, c’est que pour ses 15 ans, il est extrêmement mature. Et il leur a dit direct : "les vannes sur mon physique, ça a été marrant trois soirs, là ça fait deux semaines, c’est relou". Et moi je suis arrivé à ce moment-là sur TS, j’ai demandé ce qui se passait et Ryan ne voulait pas en parler, que je m’en mêle. C’est Alex qui a dû m’expliquer que Ryan leur avait dit ça, et qu’il avait raison. Il m’a expliqué qu’ils le vannaient en permanence sur la photo du groupe.

Là, j’ai dû leur mettre un coup de pression, je leur ai dit qu’ils avaient des comportements de gogols du collège qui vont harceler le plus petit et le plus faible. Alors que c’est le mec le moins expérimenté, qui a le plus besoin d’accompagnement de la part des autres joueurs. J’ai dû leur faire une vieille leçon de morale, et je leur ai dit "Ryan c’est mon chouchou, il a 15 ans, s’il y a encore un mec qui lui casse les couilles, il a plus d’équipe".

Mis à part ça, Ryan je lui parle comme aux autres et je ne sens pas de décalage. De toute façon, quand tes premiers contacts c’est par un vocal sur Internet, c’est plus simple d’apprendre à se connaître, il n’y pas de gestuelles, de langage de corps à avoir.


Ça rigole avec Neityu pour le retour en lan à l'AFTI-LAN 21.1 (photo : Sopriam)

 

Est-ce que t’as une date limite à partir de laquelle tu te permettrais de changer un joueur, si tu constatais un problème structurel ?

Ce n’est pas du tout l’optique dans laquelle je suis parti. Je pense avoir pris des joueurs avec une marge de progression immense car ils sont inexpérimentés et extrêmement talentueux. Sans me la jouer Didier Deschamps, je pense avoir l’oeil pour voir un mec capable de faire quelque chose, et pour moi ils ont tous ce potentiel. Souvent en stream, on me demande si j’ai un préféré. Les gens pensent que je ne réponds pas pour ne pas montrer de favoritisme. Mais en fait, c’est juste qu’ils ont tous un potentiel incroyable.

Il y a aussi le fait qu’un changement de joueur, ça veut dire un nouvel élément qui doit tout réapprendre, avec lequel on doit réapprendre à travailler. Tu repars de plus loin. Sauf si t’amènes un mec du subtop qui a déjà beaucoup d’expérience. Mais si je reste dans ce projet d’académie avec des mecs qui partent du néant, t’es perdant à chaque changement.

Dans ce projet, je veux aussi montrer que c’est possible de garder un cinq et de progresser. Il y a toujours un moment où tu vas arriver à un niveau et stagner. Mais ce niveau-là est très loin de toi. Quand je vois des mecs du subtop qui changent souvent de line-up, je comprends pas. Ils n’ont même pas atteint les playoffs d’ESEA Advanced et ils me parlent de stagner. S’ils stagnent, c’est soit qu’ils ne travaillent pas correctement, soit qu’ils ne se parlent pas correctement, soit juste qu’ils ne savent pas ce qu’ils font.

Très souvent, tu changes parce que tu perds. Le cap à passer, c’est comprendre pourquoi tu perds et gagner grâce à ça, en améliorant ton jeu collectif. Par contre, une fois que t’as fait ce processus trois ou quatre fois et que tu te retrouves bloqué, que t’as l’impression qu’il y a des équipes que tu n’arrives jamais à battre, qu’un joueur répète les mêmes erreurs pendant des mois malgré l’insistance de l’équipe et coûte des matchs, là tu peux dire que ce joueur ne passe pas ce cap.

Avec VeryGames, on était plus ou moins la meilleure équipe du monde avec RegnaM. Mais il y avait des matchs qui se passaient mal parce que RegnaM nous cassait les couilles. Il me faisait tilt moi et mon équipe. On a essayé de passer ce cap, ça marchait deux semaines puis il nous refaisait tilt.

Au bout de trois mois, on était sur TS, RegnaM arrive et je l’ai dit clairement : "moi, je ne peux plus jouer avec RegnaM, j’ai essayé de reset mental, là j’ai même pas envie d’aller prac’, alors que normalement c’est ce que j’attends toute la journée, l’entraînement de 20 heures". Derrière, SmithZz a dit pareil : "RegnaM j’en peux plus, nous on a fait les efforts, lui il ne les a pas faits, on a essayé de dire moins de trucs, on a essayé de pas lui dire de fermer sa gueule, ça n’a rien changé". Du coup, on était quatre à vouloir l’exclure. À un moment donné, tu ne peux pas aller à l’encontre de tout le collectif.

Pour reparler de GenOne, à part si un joueur se désintéresse totalement du projet, je vois pas de raison de changer. À part si, à la fin de 2021, on est déjà en playoffs de l’ESEA Advanced, et que t’as un mec comme Broox qui fait toujours tilter l’équipe parce qu’il n’a pas changé son comportement en dix mois et que c’est toujours une petite pleureuse, peut-être qu’on l’exclura. Et ça pourrait être une super chose pour sa carrière à ce moment-là, il pourrait aller voir plus haut et comprendre pourquoi son comportement n’est pas le bon.

Parce qu’un kick, ça peut être bénéfique pour un joueur. Tu te remets en question, tu veux évoluer, t’as pas envie de te refaire exclure, surtout quand c’était d’un projet qui te plaisait. Tu vas en parler avec ton entourage et souvent ils vont te confirmer que tu mérites ton kick. Mais sinon, exclure un mec parce qu’il n’est pas assez fort, au niveau où on est, c’est faux. Vu les cinq zouaves que j’ai, c’est très, très loin comme possibilité. Après si ça se trouve, dans trois mois, j’ai quatre joueurs qui vont exploser et un Saax va se retrouver dépassé dans son lead, et un gros écart va se creuser. Mais généralement, tu le sens quand ça se produit.

Au moment où misutaaa avait été recruté chez Vitality, des personnes comme apEX ou XTQZZZ disaient qu’il n’avait rien en termes de connaissances de jeu, qu’il avait dû tout apprendre. Dans ta position, jusqu’où tu penses pouvoir amener un joueur pour qu’il soit prêt pour le T1 ?

Moi, je ne prépare pas un joueur, je prépare une équipe, c’est très différent. En préparant une équipe, je prépare tous mes joueurs à jouer en équipe, à évoluer dans un collectif. Au final, misutaaa et flex0r n’ont pas fait d’équipes qui duraient longtemps, il y a eu énormément de changements, beaucoup de joueurs qui bougeaient. Du coup, misutaaa ne s’est pas épanoui dans une équipe, où il a appris pleinement un rôle. Donc forcément, quand t’as pas cette expérience et que t’arrives dans une équipe avec des mecs qui ont dix ans de compétition derrière eux, t’as rien. C’est logique.

Pour revenir sur le plafond de mes joueurs, il n’y a pas de limite. On est tout en bas, et le but de CS c’est d’aller tout en haut.

Si tes joueurs recevaient des offres, à partir de quel niveau tu leur dirais que ça vaut le coup de partir pour passer un vrai palier et progresser dans leur jeu ?

Je vais être un peu dur mais en dessous de LDLC, ça n’a pas vraiment d’intérêt parce que LDLC est la première structure avec un vrai encadrement. Mais en fait, même LDLC, jusqu’à présent, ils n’ont pas réussi à prouver qu’ils étaient capables d’encadrer des jeunes, notamment au niveau du staff technique. À chaque fois qu’ils ont pris un jeune joueur, ils l’ont exclu trois mois, cinq mois, six mois après. Ils n’ont pas réussi à faire monter un joueur.

Donc en fait, à part Vitality, il n’y a rien d’intéressant pour des jeunes ambitieux. Si je t’envoie chez LDLC, je t’y envoie avec tout mon amour mais j’ai peur que tu reviennes anéanti. C’est des choses que j’ai vues de mes yeux sur certains jeunes qui sont allés là-bas. Donc j’ai pas envie d’y envoyer un de mes jeunes, en tout cas pas dans l’état actuel des choses.

Surtout que, récemment, avec presque aucune expérience, on a battu une équipe comme Exalty. C’est censé être une équipe ECN, avec un niveau correct. J’entends souvent dire qu’en ECN, les équipes commencent à bien jouer, etc. En vrai, oui et non. Aujourd’hui, je rejoins apEX quand il disait que ça manque de joueurs d’expérience qui sont restés là par passion, comme HUNDEN au Danemark, qui apprennent, qui montrent. Et je comprends qu’il en manque, la passion ça fait pas tout. Tu peux kiffer CS, mais jouer avec des petits toute la journée alors que t’as un boulot, une famille, c’est pas évident.

Tu penses que c’est ça qui a manqué à la scène française au début de CS:GO, quand des joueurs comme toi n’ont pas fait la transition ? Il y a eu une cassure entre le très haut niveau et un subtop à reconstruire de zéro ? Est-ce que ça explique l’absence de nouveaux joueurs au très haut niveau avant 2018-2019 ?

C’est sûr. Moi, avant de jouer chez VeryGames, je jouais qu’avec des jeunes peu connus. J’étais le premier à vouloir prendre RpK. J’étais le premier à parler d’Happy, il s’appelait EMSTQD. J’arrêtais pas de dire que je le trouvais super intelligent, qu’il fallait absolument le recruter. Je l’avais proposé quand je jouais avec AsP, et il m’avait dit "on va pas ramener un pyj qui a trouvé son pseudo en tapant sur son clavier comme un dégénéré". Le mec me dit ça, c’est quoi le rapport ? Moi, j’avais discuté de CS avec Happy, il comprenait trop de trucs, il m’avait poussé à des réflexions que je n’avais jamais eues, alors que j’étais censé être bien meilleur que lui.

J’ai insisté, ce mec-là était un joueur à prendre, très malin. AsP a refusé et Happy est parti avec Ex6, et ils ont fait des bonnes performances (ndlr : ils gagneront la TeX 2008, l'un des plus gros événements de l'année). Parce qu’il était intelligent, même si c’était pas une machine de skill. T’as besoin de gens malins dans une équipe. Aujourd’hui, c’est un des joueurs les plus capés en France.


Le mec qui a "trouvé son pseudo en tapant sur son clavier comme un dégénéré" a fini par gagner
deux Majors en étant leader

Donc oui, il a manqué des gens pour transmettre du savoir. J’en parlais récemment avec wasiNk justement. Il me disait "il y a un an et demi, j’étais sur un TS avec plein de joueurs qui aujourd’hui te suivent beaucoup et te respectent, à l’époque ils te voyaient juste jouer en stream et ils disaient que t’étais un noob. Depuis, ils ont tous changé d’avis." Donc les mecs n’arrivent pas à dissocier le jeu en équipe et la soloQ.

Et surtout, ils oublient que quand je suis revenu sur CS:GO, j’entendais tout le monde parler de principes de jeu. Nous, on n'utilisait pas ce terme à l’époque de Source. On disait juste "quand il se passe X, on fait Y", ce qui revient au même. Ça m’a fait rire parce que quand je leur ai demandé quels étaient leurs principes de jeu, je me souviens très bien qu’apEX et un autre mec du subtop m’ont sorti dix principes. Je leur dis "c’est marrant, ces dix principes, c’est moi, ce sont mes principes". On n’appelait pas ça comme ça mais c’étaient que des trucs que j’ai appris à mes joueurs et qu’ils ont transmis dans leurs équipes respectives. C’étaient juste mes calls, qu’ils ont gardés parce qu’ils étaient logiques dans le cadre de CS. Si les adversaires jouent les appartements, tu vas prendre le T et t’infiltrer vodQ, pas rentrer dans les apparts, ou alors à trois ou à quatre. 

Il y a eu un petit moment sur Source où tout le monde se transmettait des choses, ça allait vite parce que la scène était très petite. Sur GO, la scène a grossi, les noyaux de joueurs se sont éparpillés et les bons sont restés avec les bons, ce qui a créé un gap.

Quand je parlais avec wasiNk, il me disait qu’il avait longtemps cru que la plupart des équipes jouaient avec des control maps simples. Mais en fait, il a réalisé qu’elles avaient des control maps spécifiques ! Je lui dis "tu crois qu’en 2008, on n'avait pas des control maps spécifiques ? Évidemment que les control maps sont travaillés de A à Z !" Ton binôme banane, il a cinq ou six prises différentes ! Ton binôme appartement, pareil ! Et selon ce que tu fais ensuite, t’as deux ou trois façons de le faire. Tout ça, c’est des calls travaillés en amont. Chaque action a une réaction déjà prévue à l’entraînement. Lui, il savait pas que c’était aussi poussé que ça, il pensait que c’était beaucoup plus improvisé. Aujourd’hui, il y a plein de mecs dans le subtop qui n’ont pas eu cette chance d’avoir la transmission de connaissances des joueurs au-dessus.

Je le vois quand je joue une équipe comme Exalty, je les ai un peu troll quand j’ai joué contre eux en disant que c’est des nullos. Je ne le pense pas parce que je les connais bien, je sais qu’ils ont un bon niveau de jeu, qu’ils essayent de comprendre CS, mais je vois des lacunes qui me fument. Et le pire, c’est que je vois les lacunes en direct, pendant que je joue contre eux, ce qui est terrible. Sachant que je ne suis même plus quelqu’un qui tryhard le jeu ! Malgré ça, je vois des lacunes que moi je n’ai plus depuis 2008, c’est ça qui est dingue.

À l’époque quand je me couchais, les games se refaisaient dans ma tête, je transpirais le jeu, je le fumais. Les démos, je les regardais trois fois pour voir mes erreurs, je prenais des notes, je faisais mes strats dans le RER en allant au boulot. wasiNk c’est pareil, il vit le jeu, c’est bien, c’est ça la mentalité. Et le pire c’est que quand il m’arrive de rejouer avec les petits, comme pour la qualif’ ECN, le soir j’ai retrouvé cette sensation, j’arrivais pas à m’endormir, je repensais à tous les matchs en détail.

Je pense que c’est ça qu’il manque aux joueurs du subtop, pousser la réflexion à ce point-là. On passait des nuits entières sur TeamSpeak avec RegnaM, avec AsP, avec mateOo, avec SmithZz, à parler de CS, de ce qu’on faisait bien, mal, de ce qui était fort, de ce qui était faible, pour comprendre le jeu. Aujourd’hui, on te mâche tellement le contenu CS que tu réfléchis moins. On oublie qu’il faut réfléchir aussi.

GenOne, c’est un projet indépendant en termes de ressources. Si demain, une vraie structure venait te voir avec un projet d’académie et voulait recruter GenOne avec toi comme coach, qu’est-ce que tu répondrais ?

C’est déjà un projet qui intéresse des structures en fait. Ne serait-ce qu’en termes de visibilité sur CS, ce qu’a GenOne aujourd’hui, ça n’existe nulle part ailleurs. La seule équipe qui fait plus de viewers que nous en France, c’est Vitality. LDLC ils font moins de viewers, peut être qu’ils feront autant ou un peu mieux quand ce sera casté sur 1PV. Mais sur la scène française, il n’y a personne à notre niveau. Tu vois un joueur comme XpG chez TheDice, il a commencé à stream ses matchs en Advanced, il fait 50 viewers, pourtant c’est un contenu intéressant. Oz, il fait un stream où il parle de son métier de coach chez LDLC, ils ont des milliers de followers, il fait 50 viewers, pendant que j’en faisais 800 sur la review de l’académie.

Donc d’un point de vue marketing, c’est intéressant. C’est d’ailleurs pour ça que certaines structures viennent à nous, et parfois c’est ce qui me dérange. Il me disent "on veut l’équipe parce que c’est intéressant pour notre marketing". Le problème, c’est que certaines de ces structures étaient déjà venues me voir pour faire du consulting parce qu’elles voulaient venir sur CS et sur la scène française. Moi, je leur avais proposé plein de trucs cools, et elles avaient toutes refusé. Par exemple, la line-up Ambush (ndlr : wasiNk, Gringo, Sone, SBT, DrqkoN), j’avais voulu la monter avant qu’elle se fasse, à un ou deux joueurs près, genre avec Djoko et nonick. Mais ça ne s’est pas fait parce qu’à l’époque on me disait "c’est pas assez fort". Sauf que si ça c’est pas assez fort, tu peux pas faire de line-up française, parce que ce qui est au-dessus, c’est trop cher pour vous.

Ensuite, on est partis sur des idées à l’international, je leur ai proposé des idées mais pareil, ils ont tout refusé. En fait, j’ai compris qu’ils voulaient surtout des pépites CIS qui allaient leur coûter 300 balles par mois en ayant un potentiel MDL. Donc là, j’ai réalisé qu’on n'avait pas la même vision des choses et ils m’ont dit que ça ne servait à rien de continuer à consulter pour eux, ce avec quoi j’étais d’accord.

Et en plus, ils m’ont dit avoir mal pris que je ne leur ai pas proposé l’académie parce qu’apparemment ça les intéressait. Ce qui me paraît étrange sur le moment, parce qu’ils voulaient concurrencer LDLC pour le prix d’un paquet de pistaches. Je ne pensais pas qu’une équipe Intermediate qui n’a jamais joué un match officiel, ça les intéressait. Et en fait, c’était l’aspect marketing qui les branchait. Donc à la base, je n’étais pas fermé à l’idée, mais je voulais voir leur offre. Finalement, c’était assez basique : deux ou trois bootcamps en six mois, des micro-salaires – de toute façon les petits ne méritent pas plus –, et voilà. Leur intérêt à eux, c’est juste de gratter du follow et du viewer, attirer une fanbase CS pour ensuite investir plus sérieusement.

À la base, je me suis dit "signer dans une orga pro, pour le stream, pour les gars, c’est vraiment cool". Ça montrait que l’engouement communautaire permettait de décrocher un contrat pro, c’était une belle histoire. Mais dans le fond, c’est mon projet, je l’ai monté de A à Z, je m’investis à fond dedans, et au final je n’aurai rien monnayé, et la structure n’est pas aussi amoureuse de l’équipe : ils sont amoureux de la fanbase.

Donc je me suis dit, est-ce que je ne peux pas m’aligner sur cette offre-là ? Est-ce que je ne peux pas créer la structure GenOne ? C’est ce que je suis en train de faire, créer l’organisation GenOne et signer des contrats tous ensemble. Donc on va faire pareil mais mieux, avec amour, avec ma communauté.

Par exemple, là on a prévu de faire une lan. Il y a un mec sur le stream qui vend des vêtements pour des sociétés qui a proposé d’habiller GenOne gratuitement. On a des joggings, des vestes en train de se faire. Ce matin, il y a la mère d’un des joueurs qui m’a contacté, elle me dit qu’elle suit le stream pour regarder son fils, ElectuS, elle veut s’investir dans le projet et elle me propose de faire des t-shirts pour l’équipe. J’avoue qu’une maman de 40 ou 50 piges qui vient me voir pour faire des t-shirts, je ne sais pas ce qu’elle va me pondre, mais je lui dis "ok pourquoi pas, ça va faire plaisir aux gars, ça soutient le projet, c’est cool". Au final, la maman m’envoie ça, c’est grave stylé. Je m’attendais à un t-shirt blanc avec un logo tout moche, en fait ça a de la gueule.


Brooxsy avec le premier maillot GenOne

Donc je me dis que je peux créer quelque chose avec la communauté, sans avoir besoin d’une structure qui existe déjà. Typiquement, peut-être que je me trompe, mais je pense que si je commercialise le maillot, j’en vends 200 ou 300 en dix jours. Juste avec la vente de maillots, je peux générer trois-quatre mois de salaire, un petit bootcamp, un déplacement lan. Il y a un autre mec qui m’a PV, quand il a vu qu’on allait en lan, et il m’a proposé de me faire des masques GenOne. Tout ça pour dire que le projet, on peut le faire vivre avec le stream et la communauté qui a embarqué là-dedans.

Moi, je m’attendais pas à un engouement comme ça. Pour te dire la vérité, ça m’a dépassé. À la base, je voulais pouvoir transmettre des connaissances sur CS. C’est un projet que j’ai sur papier depuis l’été 2020 : prendre des joueurs qui sortent de nulle part, les encadrer, avoir des intervenants, tout ça c’est écrit depuis six mois. Je me suis dit que le contenu allait être cool, jamais je me suis dit qu’en faisant une review de l’académie en matinée j’aurais 800 viewers, ou qu’on allait faire des qualifications devant 2 000 personnes. Je tablais sur des pointes à 1 000, peut-être 1 500. Mais 2 000 à chaque match, c’est inattendu. Arriver à faire 1 300 viewers alors que t’as Vitality ou G2 qui joue en même temps, c’était impensable. Je savais que ça allait faire kiffer les gens parce que c’est beau de suivre des petits avec les hauts et les bas, mais je ne m’attendais pas à un tel engouement.

En termes de budget annuel hors Covid, ça représente quoi comme investissement, en argent et en temps, une structure comme GenOne ?

L’investissement en temps est énorme. J’ai vu un médecin, il m’a dit qu’il fallait que je souffle un peu. Si je continue comme ça, dans dix ans je suis cuit. Que ce soit le stream, l’équipe, La Coupe, faire des débriefs du projet, c’est énorme. J’ai une connaissance à moi qui est dans le management d’une très grosse entreprise, il suit le stream depuis trois ans et il est venu me voir pour me dire que j’étais trop fatigué, que je me rendais plus compte de comment je parlais aux petits. Il m’a dit "coupe le stream deux jours, t’es au bord du gouffre". Bon, c’était en pleine semaine de La Coupe, je pouvais pas, j’ai dû attendre encore un peu.

Parce qu’évidemment, il y a beaucoup d’investissement hors stream que les viewers ne voient pas, comme les conflits internes à l’équipe. On a un manager mais c’est un gentil, il a une super approche, à l’opposé de la mienne, et c’est pour ça que je l’ai pris. Mais des fois il faut pouvoir trancher, donc il faut que j’intervienne. Une lan ou un bootcamp, ça prend du temps à organiser, c’est très cher. Encore une fois, j’ai de la chance, j’ai une touffe qui veut sponsoriser le premier bootcamp, donc on fait des devis, etc.

Dans une année non-Covid, tu vas vouloir faire les quatre lans les plus intéressantes, genre la Nexen. L’idée, c’est pas non plus d’aller dans des lans où il n’y a que des mix, même si ça fait du contenu intéressant pour le stream. En termes de géographie aussi, faire une lan à Paris, c’est plus simple et probablement moins cher dans l’ensemble. Parce que les lans en campagne où les mecs doivent prendre quatre trains, ça élève les coûts. Mais en gros, un bon budget lan, c’est 400 euros par personne sans la nourriture. Donc ça fait environ 2 000 euros par lan, quatre fois dans l’année ça fait 8 000. Pour une équipe du subtop comme nous, tu rajoutes les bootcamps, les inscriptions ESEA, à 15 000 balles par an t’es pas mal.

Quand tu disais que des structures s’intéressaient à l’académie, c’est des sommes qu’elles sont prêtes à mettre ?

Oui, complètement. Parce qu’il faut rajouter aussi des salaires et mon cachet, ça fait 15 000 de plus, donc 30 000 à l’année. Ce qui représente un mois de salaire de leur meilleur joueur pour certaines équipes. Je vois beaucoup d’orga’ qui disent "CS c’est trop cher", c’est faux. CS, c’est pas plus cher qu’un autre jeu. Aujourd’hui en France, une équipe comme Ambush, avec 1 200 euros par mois, ils pourraient passer à temps plein. Il y a un seul joueur qui travaille chez Ambush et qu’il fallait débaucher pour qu’il puisse continuer à vivre.

Il y a plein d’organisations françaises qui pourraient avoir des équipes, pour fournir des encadrements et amener ces joueurs à passer un cap. Ambush, ils sont capables de s’approcher du top 30 HLTV alors qu’ils se battent avec rien. Ils sont payés zéro euro, ils sont livrés à eux-mêmes. Là, ils ont eu la chance de faire un bootcamp mais c’est parce que c’était gratuit, 1PV leur a pas fait payer les locaux. Je veux pas dénigrer parce que c’est un beau geste, mais les PC sur place n’étaient pas adaptés par exemple. Premier jour de bootcamp, Gringo m’a dit qu’il avait 200 FPS de moins qu’à la maison. Si ces mecs-là signent chez Gamers Origin, ils ont des salles de bootcamp de malade, des PC de malade, un vrai encadrement avec des coachs mentaux.

Ça me rappelle une discussion que j’avais eue avec XTQZZZ, où j’avais remarqué que son approche mentale, sa façon d’interagir avec les joueurs avait beaucoup évolué. Pourquoi ? Parce que chez Vitality, ils ont des encadrements de malade, avec des coachs mentaux, des psys. Ils viennent et ils te présentent des façons de travailler, de communiquer. C’est le premier truc que je lui ai dit, à quel point son évolution sur cet aspect-là était spectaculaire. Il m’a expliqué qu’il avait rencontré plein de gens super intéressants chez Vitality sur cet aspect, que c’était une chance incroyable et qu’il voulait en faire profiter la scène. Parce que ce genre de connaissances, si t’as pas la chance d’être chez Vita, c’est soit t’es déterminé et tu lis plein de livres pour les acquérir, soit tu les as juste pas.

Avoir une équipe compétitive sur CS, je veux bien qu’on dise que c’est dur parce que le niveau est très haut, mais c’est pas nécessairement cher. Aujourd’hui, sur la scène française, t’as assez de bons joueurs pour avoir deux autres équipes en MDL, j’en suis persuadé. Mais personne ne met de billes sur CS, personne ne fait confiance à des joueurs pour leur donner la possibilité d’évoluer. Comment veux-tu que des joueurs se donnent à 200 % quand ils doivent jouer en rentrant du boulot ? C’est dur. Les mecs ont entre 18 et 21 ans : soit ils sont aux études, soit ils sont au boulot, soit c’est des branleurs. Mais même si tu te consacres à fond sur CS, ça reste dur. T’as pas d’encadrement, t’as pas de direction et t’as aucune aide.

Ce que je trouve terrible c’est que du coup, il y a beaucoup de joueurs qui essayent de percer individuellement. Tout le monde oublie que CS c’est un jeu collectif et que la meilleure façon de percer, c’est en équipe. Les plus belles success story de CS, c’est les équipes : ENCE, Luminosity, Space Soldiers, FURIA, tous ces mecs qui créent des cinq et qui montent. Aujourd’hui, le parcours CS en Europe est devenu très individualiste. Dès que tu rejoins une équipe un peu cotée, t’es invité en FPL-C. Donc t’as envie de grind la FPL-C pour monter en FPL et jouer avec les meilleurs. L’optique, c’est d’aller en FPL pour se faire repérer et quitter ton équipe actuelle.

Mais CS, ça ne marche pas comme ça. En France, il y a un gros pool de joueurs avec un beau potentiel, mais sous-exploité parce qu’on ne donne pas les moyens à la scène. Je suis sûr qu’on peut mieux faire, et c’est l’idée de l’académie : montrer aux gens qu’on peut partir de rien et faire des trucs cools. Alors je ne sais pas jusqu’où ça ira, si ça se trouve on va rester bloqué en ESEA Main toute notre vie. Mais je ne pense pas.

 

Dix mois après cette interview réalisée en mars 2021, LDLC annonçait le recrutement de GenOne, promue en ESEA Advanced entre temps. Le cinq n'a pas bougé à l'exception de Saax, remplacé par AZIDOT puis Diviiii. Graviti a hérité du lead. krL va laisser la main à Lambert pour que ce dernier poursuive le coaching chez LDLC.

Cette interview, de même que celles d'Ex6TenZ HaRts et bisou, a été utilisée
dans "Leader in-game, le podcast", à écouter ici.

... Commentaires en cours de chargement ...

Vous devez posséder un compte VaKarM et être connecté pour commenter les articles